Rayan Cherki, l'artiste lyonnais à la porte des Bleus | OneFootball

Le football français regorge de talents, mais certains illuminent les pelouses avec une lumière particulière. Rayan Cherki fait partie de ces footballeurs dont chaque touche de balle semble écrite à l'avance, chorégraphiée dans un ballet technique que peu de joueurs peuvent égaler. Alors que l'équipe de France s'apprête à affronter l'Espagne en demi-finale de Ligue des Nations en juin, la question brûle les lèvres des passionnés : Didier Deschamps peut-il encore se passer de l'enchanteur lyonnais ?

Le printemps 2025 porte la signature de Cherki (21 ans). Tel un peintre impressionniste, le numéro 10 lyonnais badigeonne les défenses adverses de ses arabesques techniques. Les chiffres parlent d'eux-mêmes : meilleur passeur de la Ligue Europa avec 8 offrandes en 12 rencontres, joueur le plus décisif de la compétition avec une implication sur 12 réalisations, devançant même le maestro du bourreau lyonnais, Bruno Fernandes (Manchester United). En Ligue 1, le chef d'orchestre rhodanien partage le titre de meilleur passeur avec Bradley Barcola (PSG) et Gaëtan Perrin (Auxerre).

Quand Cherki touche le cuir, les spectateurs retiennent leur souffle. Guy Roux, doyen des observateurs du football français, ne s'y trompe pas : "Tous les ballons qu'il touche se transforment en bon ballon", s'émerveille-t-il, comparant le prodige à "un élève de certificat d'études à zéro faute dans la dictée." Une perfection technique qui saute aux yeux.

Le mois d'avril a vu le joyau de la formation lyonnaise briller de mille feux, avec une implication décisive dans cinq des six rencontres disputées. Comme si le printemps avait réveillé en lui une inspiration nouvelle, une maturité tant attendue. Paulo Fonseca, aux premières loges pour observer cette métamorphose, ne cache pas son émerveillement : "Parfois, en pleine séance, je me dis : « Comment voit-il ces choses ? Comment trouve-t-il ce gars alors qu'il n'y a pas d'espace ? » C'est juste le talent, et ça peut faire la différence." Des mots qui résonnent comme un vibrant plaidoyer pour celui que Jean-Michel Aulas a déjà adoubé comme "le digne successeur de Karim Benzema".

Les arguments qui plaident pour sa convocation

La force de Cherki réside dans son évolution. L'artiste fantasque s'est mué en joueur d'équipe. "Il a compris que jouer uniquement pour lui, ça ne fonctionnait pas, analyse Sonny Anderson, autre légende lyonnaise. Il travaille aujourd'hui pour l'équipe et pour être efficace." Une transformation que Gérard Baticle, sélectionneur des Espoirs, confirme : "Il y a eu une vraie prise de conscience, un déclic. Il inspire plus de crainte chez ses adversaires".

Les statistiques viennent étayer cette impression. Avec 6,12 actions menant à un tir par match en moyenne, il surpasse tous ses concurrents directs dans les cinq grands championnats (à l’exception de Michael Olise), y compris Désiré Doué (5,8) et Bradley Barcola (4,3). Une donnée sur laquelle il domine aussi la pépite Lamine Yamal (5,88). Sa nomination pour le trophée de meilleur joueur de la saison en Ligue 1 – seul représentant ne jouant pas au PSG – témoigne de cette éclosion spectaculaire.

"J'ai trouvé le footballeur que j'ai envie d'être, confie le principal intéressé. Je veux donner du plaisir à mes coéquipiers et aux spectateurs. Le foot est moins regardé aujourd'hui et moi j'ai envie de faire revenir le foot d'avant." Une philosophie qui résonne avec les valeurs les plus nobles du jeu. À l'heure où le football européen semble parfois formaté, robotisé, Cherki incarne cette part d'imprévisibilité qui fait le sel du spectacle. Son jeu, fait de prises de risque et d'inspirations soudaines, pourrait apporter à l'équipe de France cette étincelle créative qui fait parfois défaut dans les grands rendez-vous.

Les réserves qui freinent son ascension en Bleu

Mais le conte de fées n'est pas encore écrit. Dans l'ombre des projecteurs qui illuminent ses exploits techniques se cachent quelques zones d'ombre qui expliquent les réticences de Didier Deschamps. Le premier écueil tient à sa dimension athlétique. Dans un football moderne où l'intensité physique dicte sa loi, Cherki reste un joueur assez lent, courant un kilomètre de moins en moyenne par match que « son rival » Désiré Doué. Or, Deschamps cultive l'exigence du labeur, privilégiant les joueurs qui se donnent corps et âme. À l’heure actuelle, Désiré Doué fait plus d'effort que Cherki.

Paulo Fonseca lui-même reconnaît cette limite : "Bien sûr, je n'aime pas quand il n'est pas assez concerné pour défendre, mais on ne peut pas tout avoir avec ce genre de joueurs." Une concession que le sélectionneur des Bleus, architecte d'équipes bâties sur la rigueur collective, pourrait ne pas être prêt à faire. S'ajoute à cela un profil atypique, assez dur à définir dans les standards d'aujourd'hui. Artiste dans l'âme, Cherki ne correspond pas aux canons tactiques contemporains, soulevant des interrogations sur sa capacité à devenir un lieutenant. L'absence de compétition européenne majeure (la Ligue des champions) avec l'OL constitue également un handicap dans la course à la sélection quand on connaît l’importance de la C1 aux yeux de Didier Deschamps.

L'embouteillage estival, arbitre du destin de Cherki ?

La question de la convocation de Cherki se heurte également à un calendrier surchargé. Alors que la France jouera sa demi-finale de Ligue des Nations contre l'Espagne, les Espoirs disputeront l'Euro face au Portugal, la Géorgie et la Pologne. Avec 23 sélections chez les Espoirs (plus 8 sélections olympiques), Cherki constitue un pilier de cette génération et pourrait être appelé à guider ses jeunes coéquipiers dans cette compétition.

Si Désiré Doué échappe à ce dilemme grâce à sa participation à la Coupe du Monde des clubs, Cherki, lui, se retrouve pris entre deux feux. Une situation que Deschamps a laissé entrevoir en mars dernier : "Que Rayan, comme d'autres, ait le potentiel de venir en équipe de France A ? Oui, bien évidemment. Il y a du monde et c'est à lui de confirmer. (...) Les places sont très chère", a prévenu le sélectionneur. Une litote qui traduit la concurrence acharnée au sein du vivier français, particulièrement riche en talents offensifs. Chaque place est disputée par plusieurs prétendants de haut vol, obligeant Deschamps à des choix cornéliens.

Un talent qui bouscule les certitudes

La question de la sélection de Cherki dépasse le simple cadre sportif pour interroger la philosophie même du football. Doit-on sacrifier la fantaisie sur l'autel de la rigueur ? Peut-on se priver d'un talent capable, comme le souligne Lacazette, d'égaler un jour la vision de jeu d'un Mesut Özil ? Le débat renvoie à cette éternelle tension entre pragmatisme et spectacle, entre efficacité et beauté. "Le football est moins regardé aujourd'hui et moi j'ai envie de faire revenir le foot d'avant", affirme Cherki, posant ainsi les termes d'un débat qui traverse les générations.

La décision de Deschamps, quelle qu'elle soit, sera scrutée à la loupe. Convoquer Cherki serait un signal fort, celui d'une équipe de France prête à embrasser l'audace créative. « L'écarter » serait réaffirmer une vision du football où la discipline collective prime sur l'expression individuelle. En attendant, l'enfant prodige de Lyon continue de tisser sa légende, match après match, dribble après dribble. Son transfert, estimé à 35 millions d'euros selon Transfermarkt, pourrait bien être l'un des feuilletons de l'été, le Borussia Dortmund ayant déjà manifesté son intérêt lors du mercato hivernal.

L'horloge tourne et juin approche à grands pas. Didier Deschamps tranchera bientôt ce nœud gordien. D'ici là, Cherki a encore quelques semaines pour forcer les dernières portes, faire tomber les ultimes réticences. Pour transformer ce qui n'est encore qu'un potentiel en une évidence incontournable.

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