Peuple-Vert.fr
·16 January 2025
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Depuis sa création en 1933, l’ASSE a connu 44 entraîneurs différents, mais certains ont laissé une empreinte plus déterminante que d’autres. Voici le portrait des 15 entraîneurs qui ont le plus marqué l’histoire du club. Par souci d’équité, ils sont présentés par ordre alphabétique. Second épisode avec Albert Batteux à l'honneur (226 matches de 1967 à 1972), l’entraîneur du quadruplé entre 1967 et 1970
Le 23 avril 1967, Jean Snella annonce publiquement son retour au Servette de Genève alors qu’il conduit l’ASSE vers son troisième titre de champion de France, tous acquis sous sa direction. Roger Rocher a tout tenté pour le faire changer d’avis, mais c’est peine perdue, sa décision est irréversible. Il faut donc lui trouver un successeur qui soit à la hauteur. Le président stéphanois ne veut pas revivre le cauchemar que le club avait connu après le premier départ du maître en 1959. Les expériences de René Vernier et Henri Guérin qui ont eu la lourde tâche de prendre la suite de Jean Snella ont conduit les Verts tout droit en deuxième division en 1962.
Aussitôt que la nouvelle se répand, certains entraîneurs offrent leurs services, mais ils ne suscitent aucun enthousiasme de la part du comité directeur. Jean Snella tient à quitter ses fonctions en grand seigneur et soutient alors la candidature d’Albert Batteux, ce dernier végétant à Grenoble depuis 1963.
La presse, notamment par la plume de Pierre Marey, qui a retrouvé son métier de journaliste, après avoir été le premier directeur sportif de l’ASSE, approuve sans aucune mesure ce choix. Il aurait le mérite d’assurer la continuité du travail déjà accompli et la pérennité du club.
Albert Batteux est certainement, à l’époque, l’entraîneur français le plus prestigieux ayant acquis avec le Stade de Reims, qu’il a amené au sommet de la hiérarchie nationale, un palmarès inégalé : cinq titres de champion de France (1953, 1955, 1958, 1960, 1962) une coupe de France (1958) et une coupe Latine, l’ancêtre de la Coupe d’Europe, (1953). Cette formation a également atteint par deux fois la finale de la Coupe d’Europe des Clubs Champions en 1956 et 1959, seulement battue par le Real Madrid. Surtout, en 1958, avec l’aide de Jean Snella, son adjoint, il a obtenu, avec l’équipe de France, à la surprise générale, une brillante troisième place à la Coupe du Monde 1958.
Son profil colle donc parfaitement avec le poste à pourvoir. D’autant plus que secrètement, Roger Rocher rêve d’un parcours étincelant dans cette coupe d’Europe qui n’a laissé qu’un goût amer à l’ASSEE après deux éliminations prématurées en autant de participations. Le président stéphanois obtient facilement l’accord d’Albert Batteux, séduit par ce nouveau et alléchant challenge. Il n’attend pas la fin de la saison et se rend aussi souvent qu’il le peut aux entraînements de Jean Snella pour prendre la température du groupe, du club et rencontrer les principaux joueurs. Il peut alors diagnostiquer les manques de l’effectif en cours, notamment en défense et il favorise la venue du gardien Georges Carnus, remplaçant l’expérimenté, mais vieillissant Pierre Bernard et celle du latéral yougoslave Vladimir Durkovic.
Son premier entraînement était très attendu et le moins que l’on puisse dire c’est qu’il ne décevra pas. Il suffit de demander à Aimé Jacquet ce qu’il en pense. Il effectue à cette occasion une causerie qui dure plus de quatre heures passant en revue toute l’histoire du football pour le plus grand bonheur des joueurs présents dont la plupart, encore aujourd’hui, se rappellent des moindres paroles prononcées.
Toutefois, dès le début de la saison 1967-68, Albert Batteux est confronté à un épineux problème. Il récupère le capitaine de l’équipe des Verts, de retour de vacances, Rachid Mekloufi, avec une surcharge pondérale altérant fortement ses performances. Ce dernier, n’est semble-t-il, pas disposé à effectuer les efforts demandés par son nouvel entraînement, notamment en matière de replacement défensif. C’est un concept tout nouveau pour lui alors, qu’avec Jean Snella, il jouissait d’une liberté totale. L’idée même de devoir défendre lui étant même complètement étrangère. Estimant que le milieu de terrain stéphanois ne montre pas suffisamment le bon exemple comme devrait le faire un capitaine digne de ce nom, il n’hésite pas à lui retirer le brassard pour le confier à Robert Herbin.
Ce dernier accepte cette charge même si, dans un premier temps, il est désarçonné par les méthodes de son nouvel entraîneur, peu habitué à voir son jeu critiqué devant ses partenaires. Pour Batteux, il ne s’agit pas de brimades, mais bien de corriger les imperfections de ses joueurs et de faire profiter à tout le monde des défauts constatés pour favoriser une progression collective.
Au niveau du football, il n’y a pas à proprement parler de rupture avec Jean Snella, car tous les deux ont toujours privilégié le jeu en mouvement pratiqué par une équipe résolument tournée vers l’offensive. Adepte du jeu court, favorisant les redoublement de passe et les une-deux, il n’avait qu’un seul leitmotiv : « concevoir le jeu de manière à ce que le talent s'épanouisse ». Aussi les résultats sont-ils naturellement convaincants surtout qu’il tenait, avec l’éclosion d’un certain Salif Keita dont les premières apparitions datent de l’automne 1967, le digne successeur de Rachid Mekloufi.
À la tête de l’ASSE, alors qu’il était attendu au tournant, Albert Batteux confirme le titre de 1967 en remportant le championnat 1968 avec onze points d’avance sur son dauphin, Nice. Meilleure attaque et meilleure défense du championnat. Du jamais vu jusque-là. Ce n’est pas tout : quelque semaines auparavant, l’ASSE a remporté la coupe de France en disposant de Bordeaux (2-1) avec deux buts de Rachid Mekloufi dont ce sont les adieux.
Il offre ainsi le premier doublé de l’histoire du club. Suivront aussi deux nouveaux titres (1969, 1970) et un autre doublé en 1970 grâce à une victoire époustouflante en finale face au FC Nantes (5-0), une référence encore aujourd’hui par l’ampleur du score jamais égalé.
En revanche, sur la scène européenne, il n’a pas pu rééditer les performances accomplies avec le Stade de Reim. Et ce, malgré des exploits sans lendemain comme une qualification magique en 1969 face au Bayern Munich avec une victoire 3-0 au retour à Geoffroy Guichard après avoir été étrillé 2-0 en Bavière.
La faute réside, si on croit le jugement a posteriori de Robert Herbin, à une préparation physique insuffisante tant il est vrai qu’elle n’a jamais fait partie des priorités du technicien français.
Les Verts ont connu ainsi de nombreuses désillusions dans les compétitions continentales. En 1967, après avoir éliminé les modestes Kuopion Palloseura (2-0, 3-0), ils sont tombés face aux truqueurs portugais du Benfica Lisbonne (0-2, 1-0), futur finaliste.
L’année suivante, l’ASSE s’incline face à un ancien vainqueur en 1967, le Celtic Glasgow, qu’elle avait pourtant dominé à l’aller à Geoffroy-Guichard (2-0, 0-4).
En 1969, après l’exploit face au Bayern Munich, l’ASSE a été surprise par le Legia Varsovie, futur demi-finaliste, sans génie, mais bougrement réaliste (2-3, 0-1).
L’expérience d’Albert Batteux avec Reims n’a pas été suffisante pour permettre aux joueurs stéphanois de pleinement s’exprimer dans une épreuve beaucoup plus exigeante que le championnat de France. C’est bien dommage car l’équipe, grâce à ses individualités, avait le potentiel pour frapper un grand coup en coupe d’Europe. Mais elle ne semble pas avoir pris conscience de ses possibilités alors que pour beaucoup de spécialistes, cette génération 1967-70 était bien plus talentueuse que celles de 1972-76. C’est peut-être le rare échec que l’on peut mettre au débit d’un entraîneur aussi charismatique.
Il n’en reste pas moins vrai qu’Albert Batteux a marqué de son empreinte et de son génie son passage dans le Forez. Et même si la fin de son mandat s’est terminé péniblement en 1972 ne pouvant rien contre l’énergie destructrice insufflée par les décisions regrettables de Roger Rocher, il peut être fier du travail effectué, justifiant largement qu’il ait été élu meilleur entraîneur français du XXe siècle.