Lucarne Opposée
·12 mars 2023
Lucarne Opposée
·12 mars 2023
Le championnat 1963 a consacré le Rojo avec une victoire 9-1 face à un San Lorenzo en grève à la suite de nombreuses décisions arbitrales polémiques.
En 1960, Independiente vient de mettre fin à douze années sans titre en décrochant le sixième titre de son histoire, validant par un trophée une décennie des années cinquante marquée par son Quinteto de Oro – Rodolfo Micheli, Carlos Cecconato, Carlos Lacasia, Ernesto Grillo et Osvaldo Cruz – capable de victoires retentissantes comme le 6-0 infligé au Real Madrid de Di Stéfano à Bernabéu, mais sans trophée. Ce titre lui ouvre les portes d’une compétition naissante, la Copa Libertadores avec laquelle le Rojo vivra une longue histoire d’amour souvent tourmentée.
Après deux saisons passée dans un relatif anonymat, le Rojo entame la saison 1963 avec un effectif jeune et issu de sa cantera. Independiente réalise pourtant une remarquable phase aller, l’équipe n’a perdu qu’un seul match, contre Boca (3-2, à l’extérieur), et a remporté six victoires et décroché six matchs nuls en treize journées, avec des victoires notables contre Rosario Central (2-1, à l’extérieur), Atlanta (5-0, à domicile), Gimnasia (3-0, à domicile) et San Lorenzo (1-0, à l’extérieur). Suivant de près le leader River Plate, le Rojo subit pourtant deux revers en début de la phase retour, en perdant contre Rosario Central (1-0, à domicile) et surtout contre l’éternel rival, Racing, 4-0. Cette défaite coûte sa place à Armando Renganeschi, arrivé quelques mois auparavant. Mi-septembre, à neuf journées de la fin, un homme arrive au club, Manuel Giúdice. Ancien milieu de terrain passé notamment par La Máquina de River dans les années quarante, Giúdice a mis fin à sa carrière au début des années cinquante après avoir été suspendu par la fédération pour sa « fuite » en Colombie, pays qu’il a rejoint lors de l’époque d’El Dorado, en 1949, et dans lequel il fait ses premiers pas d’entraîneur. Giúdice pose ce qui reste aujourd’hui sa marque de fabrique et que l’on peut résumer sous le terme de contrattaque défensive, sorte de catenaccio à l’argentine qui préfigure l’Inter des années suivantes.
Dès lors, aucune équipe ne parviendra à inscrire plus d’un but à un Rojo qui termine en boulet de canon : quatre matchs (2-0 contre Atlanta, 2-1 contre Huracán, 3-1 contre Vélez et 1-0 contre Banfield) permettent à Independiente de rester coller à River Plate, les deux nuls face au Gimnasia et à Boca laissant le Rojo à deux points à l’aube de l’antépénultième journée, cette du choc face aux Millonarios. Jouant devant leur public, Independiente s’impose 2-1 et le titre et se hisse au même niveau que River avant que la victoire ultérieure 3-0 contre Argentinos Juniors couplée à la défaite de River Plate 1-0 contre Boca lors de l’avant-dernière journée lui offre la première place au coup d’envoi de la dernière journée. Ce 24 novembre 1963, Independiente accueille San Lorenzo à la Doble Visera. Un nul lui suffit pour être champion.
Le match se dispute sous haute tension, car une défaite pouvait coûter le titre à Independiente si, dans le même temps, River Plate s’impose face à Argentinos. Les chroniques de l’époque racontent qu’en plus des supporters du Ciclón, il y avait également des supporters de River venus donner de la force à l’équipe azulgrana. Cette même tribune explose à la 18e minute lorsqu’Hector Bambino Veira, dix-sept ans, ouvre le score. Au même moment, River mène déjà face à Argentinos. Le suspense est total. Le match bascule alors. Independiente muscle terriblement son jeu, devient de plus en plus violent sous la complicité de l’arbitre du jour, Manuel Velarde, qui laisse jouer côté Rojo mais ne pardonne rien au Ciclón. Chargé par Rubén Marino Navarro, El Bambino est contraint de sortir sur blessure, ses ligaments du genou ont sauté. « J’ai marqué le but et ensuite, lors d’un choc avec le défenseur Navarro, j’ai dû être sorti du terrain. L’arbitre a fait semblant de n’avoir rien vu, comme il l’a fait pendant tout le match » confie Veira à TyC Sports. À l’époque, seuls les changements de gardien sont autorisés, San Lorenzo se retrouve donc à dix.
Comme si cela ne suffisait pas, Navarro fauche Victorio Casa dans la surface, Manuel Velarde, qui avait arbitré le superclásico de l’avant-dernière journée, ne siffle rien. Sur le contre, Raúl Armando Savoy égalise pour un Rojo jusqu’ici dominé. La polémique ne cesse de croître, en particulier lorsque Velarde accorde le penalty du 2-1 pour les locaux et exclut Rafael Albrecht dans la foulée.
Mené et réduit à neuf, San Lorenzo rentre aux vestiaires avec une immense frustration. Le calvaire se poursuit d’entrée de second acte avec la blessure de Roberto Telch sur une nouvelle agression signée Tomás Rolán. La deuxième mi-temps bascule dans la farce lorsque Raúl Emilio Bernao inscrit le but du 3-1 quelques minutes après la sortie de Telch. Raúl Alberto Páez est exclu à son tour par Manuel Velarde, les joueurs de San Lorenzo décident alors que c’en est trop. Les Cuervos se mettent alors en grève, ils s’arrêtent de jouer sur le terrain, restant figés, bras croisés. Eladio Zárate sort à son tour sur blessure à vingt minutes de la fin, les six joueurs restant laissent Independiente jouer et le score enfle jusqu’à 8-1 à la 89e, moment choisi par Oscar Coco Rossi de parachever cette vaste parodie. Le milieu du Ciclón décide de frapper vers son but, le gardien Agustín Irusta laisse passer le ballon, le but contre son camp le plus lointain de l’histoire met fin à la partie sur un succès 9-1 du Rojo. Independiente est donc sacré champion et lance une décennie aussi riche en titres qu’en autres polémiques (lire Independiente, el Rey découpé). À l’issue de la rencontre, Manuel Velarde est suspendu plusieurs mois. Sa carrière se termine prématurément quelques années plus tard. Ironie du destin, cinquante ans plus tard, un but signé Ángel Correa, permet au Ciclón de s’imposer face au Rojo chez lui et envoie le club d’Avellaneda en deuxième division. Quelques mois plus tard, San Lorenzo décroche son quinzième et dernier titre de champion à ce jour.
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