Le Corner
·6 mai 2021
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·6 mai 2021
Compères d’attaque à l’Udinese entre 2008 et 2011, Antonio Di Natale et Alexis Sánchez ont laissé de très bons souvenirs en Frioul-Vénétie Julienne. Mais si Di Natale était déjà bien installé dans l’équipe, Alexis a mis du temps à démontrer toutes ses qualités avant de totalement exploser. Et finalement, c’est lors de leur dernière année en commun que l’expérimenté bomber italien et le jeune feu follet chilien ont été les meilleurs atouts d’une surprenante équipe dirigée par Francesco Guidolin. Au menu, de nombreux buts et passes décisives, des actions de grande classe avec à la clé une quatrième place synonyme de Champion’s League.
Avant d’être associés à la pointe de l’attaque frioulane, Antonio Di Natale et Alexis Sánchez ont connu des trajectoires différentes. L’aîné du duo, le Napolitain Totò Di Natale quitte le cocon familial à dix-sept ans pour rejoindre la Toscane et débute sa carrière à Empoli. D’abord avec les équipes de jeunes de 1994 à 1996 puis avec l’équipe senior lors de la saison 1996/97 où il effectue sa première (et seule) apparition quand les Azzurri évoluent en Serie B. Par la suite, les dirigeants du club décident de le prêter en Serie C pour s’aguerrir et obtenir du temps du jeu. Direction Iperzola en 1997/98, Varese de août à octobre 1998 puis Viareggio pour le reste de la saison 1998/99. Di Natale se distingue particulièrement lors de cette dernière expérience et marque les esprits avec douze buts en vingt-cinq matchs. Rappelé par Empoli, Totò surfe sur la confiance accumulée à l’étage inférieur pour gagner ses galons de titulaires et enchaîner les matchs. Aligné sur l’aile de l’attaque, il produit des prestations de qualités avec six buts à son actif. Cependant, son équipe reste engluée dans le ventre mou du classement. La saison suivante, Di Natale voit son temps de jeu augmenter et le classement d’Empoli également. Malgré les neuf buts de leur esterno (ailier), le club toscan échoue de peu pour l’accession en Serie A. Ce n’est que partie remise.
À l’issue de l’exercice 2001/02, quand les Azzurri occupent la place de leader à plusieurs reprises au cours de la saison (dix journées au total), quand ils terminent meilleure attaque du championnat (avec soixante buts) et quand le natif de Naples score seize fois, ils décrochent leur promotion à l’étage supérieur en dépit d’une quatrième place au général. À bientôt vingt-cinq ans, Antonio découvre l’élite. Peu impressionné par l’élévation du niveau, ce n’est aucunement un frein à son développement. L’attaquant de poche (un mètre soixante-dix) participe activement au maintien des Toscans en Serie A grâce à ses treize buts en vingt-sept apparitions. Parmi ses victimes, nous retrouvons l’Inter, le Milan, la Juventus et la Reggina pour son premier hat-trick. Déjà, il démontre une palette complète de gestes décisifs devant le but : frappe lointaine, lob, finition de près … Malheureusement pour Empoli et Di Natale, la saison 2003/04 est nettement moins aboutie. La défense s’effrite et l’attaque se grippe. La réussite fuit l’équipe de Daniele Baldini puis de Attilio Perotti et la relégation est inéluctable. De retour à l’étage inférieur, Empoli ne parvient pas à retenir dans ses rangs Di Natale. Sur les tablettes de l’Udinese, Totò rejoint le Frioul lors du dernier jour du mercato estival 2004 contre la somme de… cent mille euros. Son bilan avec Empoli est satisfaisant : en soixante-dix huit matchs, il a marqué cinquante-cinq buts dont dix-huit en Serie A.
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Maintenant, direction l’Amérique du Sud pour découvrir les premiers pas footballistiques de Alexis Sánchez. Le jeune garçon grandit dans le nord du pays, à Tocopilla (sa ville natale) où il vit dans la pauvreté. À l’âge de 10 ans, Alexis déménage à Rancagua et intègre une école annexe de l’Universidad Católica, l’un des grands clubs du pays.
Quelques temps plus tard, il retourne à Tocopilla et joue pour le club local de Arauco. Séduit par ses exploits, Alexander Kurtovic, le maire de la ville, lui offre sa première paire de crampons. Avec ses nouvelles chaussures, il se distingue lors d’un championnat régional en marquant huit buts en une rencontre. En 2004, l’école de football de Cobreloa le recrute. Le club forme de bons joueurs, Charles Aránguiz et Eduardo Vargas y ont également fait leur début. Dans un premier temps, Sánchez joue avec les U15 de l’équipe mais il se fait remarquer par les entraîneurs et il est rapidement promu en équipe première dirigée par Nelson Acosta. En février 2005, Alexis fait ses grands débuts contre le Deportes Temuco et marque, un mois plus tard, son premier but synonyme de victoire pour Cobreloa (2-1) face au Deportes Concepción. Impressionné par ses performances, Nelson Acosta lui offre sa première apparition en Libertadores contre Once Caldas. À seulement seize ans, il devient l’un des plus jeunes joueurs à débuter dans le tournoi continental et récolte son surnom de Niño Maravilla (l’enfant prodige en VF). Ses prestations lors de la Clausura 2005 et de l’Apertura 2006 attirent l’attention.
Spécialisée dans la post-formation, l’Udinese a un réseau de scouts très étendu et Alexis Sánchez séduit les dirigeants frioulans. Le club de Giampaolo Pozzo n’hésite pas à débourser trois millions de dollars pour le talentueux joueur de Cobreloa. Mais l’attaquant de dix-sept ans reste au Chili. Il file en prêt à Colo-Colo pour parfaire sa formation. Sous le maillot du Cacique, Alexis rencontre son club formateur en demi-finale de la Clausura 2006 mais les élimine et s’offre son premier titre en carrière face à Audax Italiano. Colo-Colo est proche de réaliser un doublé avec la Copa Sudamericana (l’équivalent de l’Europa League). Malheureusement pour les Chiliens, Pachuca s’impose sur l’ensemble des deux matchs (1-1 / 2-1). Sánchez se console avec un nouveau sacre national lors de l’Apertura 2007. Après une impressionnante Coupe du Monde U20 où le Chili termine sur le podium (troisième), il rejoint River Plate en prêt pour sa première expérience à l’étranger. À Buenos Aires, il connaît sa première blessure importante qui le laisse éloigné des terrains pendant trois mois. Remis sur pied pour la Clausura 2008, Alexis participe à la victoire des Millonarios et est appelé au Frioul pour rejoindre l’effectif de l’Udinese.
Transféré en 2004, Di Natale évolue quatre saisons dans le Nord-Est de l’Italie avant de voir débarquer le petit prodige Chilien. Pendant ces quatre ans, Totò confirme son bon rendement aperçu lors des saisons 2002/03 et 2003/04 avec son précédent club. Toujours sur un côté de l’attaque et associé successivement à Vincenzo Iaquinta, Davide Di Michele, Simone Pepe, Asamoah Gyan, Antonio Floro Flores et Fabio Quagliarella, le Napolitain monte en puissance au fil des saisons comme le confirment ses stats personnelles : sept, huit, onze et dix-sept buts en championnat. Hormis une quatrième position lors de la saison 2004/05, l’Udinese est le plus souvent abonné au ventre mou de Serie A. Le club italien compense son manque de moyens financiers par un système développé de scouts à travers le monde qui lui permet de dénicher des jeunes talents à moindre frais. Mis en valeur ensuite au sein de l’effectif, ils sont revendus à prix d’or si leur éclosion est réussie. Quand Alexis (pas encore vingt ans) arrive à Udine, le groupe est hétéroclite. Les diverses nationalités (plus de dix différentes) forment une véritable mosaïque, spécialité locale au Frioul notamment dans la ville de Spilimbergo située à une trentaine de kilomètres d’Udine où cet art est enseigné depuis des années dans son école internationale, et favorisent une acclimatation plus facile. D’autant que le Chilien n’est pas seul. La présence de son compatriote Mauricio Isla, arrivé un an auparavant en provenance de l’Universidad Católica, lui facilite son intégration.
L’équipe dirigée par Pasquale Marino poursuit sur la lancée de la saison précédente et parvient à rééditer leur bon classement en Serie A (septième). En parallèle, l’Udinese atteint les huitièmes de finale de la coupe de l’UEFA mais doit s’incliner contre le Werder Brême de Diego et Pizarro. Si la saison de Di Natale est une réussite, avec à la clé douze buts, celle de Sánchez est décevante. Aligné dans le couloir droit de l’attaque frioulane, il ne parvient pas à démontrer ses capacités même si son implication n’est pas remise en cause. Son bilan de trois buts en trente-deux apparitions est insuffisant. La saison 2009/10 marque un tournant dans la carrière de Di Natale. Avec le départ de Fabio Quagliarella vers Naples, le club se retrouve sans numéro 9 pour occuper la pointe de son attaque.
Repositionné dans l’axe, Totò réalise la meilleure saison de sa carrière. En pleine confiance, le joueur de trente-deux ans tente et réussit des gestes fantastiques comme cette panenka contre la Fiorentina, cette demi-volée en pivot à l’entrée de la surface toujours contre la Viola ou cette reprise acrobatique contre Naples. Opportuniste, il marque aussi des buts de renard des surfaces. Et aussi sur coups de pied arrêtés (coups francs directs et penaltys). Auteur de vingt-neuf réalisations en Serie A, il contribue à cinquante quatre pourcent du total des buts de l’Udinese et dépasse un ancien bomber du club : Oliver Bierhoff (27 buts en 1997/98). Grâce à un doublé contre Bari, le Napolitain dépasse la barre des cent buts en Serie A. Nommé footballeur de l’année du championnat, Antonio remporte également le titre de Capocannoniere devant Diego Milito (22), Giampaolo Pazzini et Fabrizio Miccoli (19). Cependant, l’Udinese ne bénéficie pas de l’apport indéniable de son buteur et échoue à la quinzième position au classement assurant assez tranquillement le maintien après une valse des entraîneurs. De son côté, le Chilien tarde à confirmer son statut de future star. Avec seulement cinq unités et quatre assists au compteur, Alexis progresse mais semble encore sur la réserve. Incapable de se libérer, de trouver la bonne carburation. Et même si l’attaquant de poche (un mètre soixante-huit) est capable de fulgurance balle au pied, il ne participe pas encore assez dans le jeu. À l’aube de la saison 2010/11, Giampaolo Pozzo décide de confier le poste de coach à Francesco Guidolin. Déjà passé sur le banc du Friuli en 1998/99, le technicien connaît bien l’environnement du club. Néanmoins, le début de saison est catastrophique. Avec quatre revers en autant de matchs, l’Udinese pointe à la dernière place de Serie A. Guidolin tâtonne, il ne parvient pas à orchestrer les qualités individuelles de son effectif. Pourtant, l’équipe est composée de Handanovič dans les buts, Armero, Basta, Benatia, Domizzi et Zapata en défense, Asamoah, Badu, Cuadrado, Inler, Isla, Pinzi au milieu et Corradi, Germán Denis, Di Natale, Forestieri et donc Alexis Sánchez en attaque. Pendant une trêve internationale, le coach frioulan réadapte son schéma tactique et opte pour un 3-5-2 avec le duo Di Natale et Alexis en pointe. Grâce à cette modification, Guidolin solidifie sa défense avec cinq éléments en phase défensive. En phase offensive, cela permet à ses latéraux de prendre les espaces et d’apporter le surnombre sur les côtés pour alimenter les deux attaquants.
Cette réorganisation libère le Chilien. Désormais plus libre de ses mouvements, il peut dézoner pour construire les offensives, toucher davantage le ballon que sur son aile et surtout marquer régulièrement. Dans cette position axiale, Alexis est face au jeu et peut combiner avec l’excellent N°10 frioulan. L’alchimie entre les deux joueurs est immédiate. L’Udinese signe de bons résultats et remonte en flèche au classement. Comme la saison précédente, Totò enchaîne les buts. Un hat-trick contre Lecce, un autre contre Naples dont une frappe croisée limpide en lucarne de vingt-cinq mètres et un corner direct, un doublé contre le Milan, un superbe coup-franc contre l’Inter. Ses nombreuses réalisations (28) lui permettent de conserver sa couronne de Capocannoniere et à l’Udinese de réveiller son attaque. Avec 65 buts, elle termine meilleure attaque ex-aequo avec le Milan, champion à la fin de la saison. C’est également la base de belles performances comme ces succès contre Naples (3-1 / 1-2), la Fiorentina (2-1), l’Inter (3-1), la Juventus (1-2), Palerme (7-0) ou la Lazio (2-1). Par rapport à l’édition 2009/10, la nouveauté c’est la réussite retrouvée de Alexis. Le Niño Maravilla démontre enfin l’étendue de son talent.
Ses qualités de dribble, son sens de la passe, sa percussion font le bonheur de son coach et des tifosi de l’Udinese. Désormais efficace, il délivre dix passes décisives et marque à douze reprises dont un quadruplé face aux Siciliens de Palerme avec Sirigu, Darmian, Balzaretti, Nocerino, Iličić, Pastore et Abel Hernández, humiliés 0-7 au Renzo Barbera. Toujours contre Palerme, il inscrit le même but que son idole Ronaldo en finale de la Coupe de l’UEFA 1998 face à la Lazio et Marchegiani. De relégable à européen, l’Udinese réalise une superbe saison avec une qualification européenne en Champion’s League à la clé (tour préliminaire). L’une des meilleures du club avec l’édition 1997/98 sous Zaccheroni. Avec cette année exceptionnelle, et ce modèle économique assumé, l’Udinese reçoit de nombreuses offres de transfert pour ses meilleurs éléments. Alexis est fortement courtisé par les deux clubs de Manchester mais décide de rejoindre le FC Barcelone pour un montant de vingt-six millions d’euro plus onze millions et demi de bonus. C’est la fin de ce tandem de choc.
Finalement, le duo d’attaque Di Natale / Sánchez n’aura vraiment performé qu’une seule saison. Mais quelle saison ! Avec quarante buts, les deux buteurs sont devenus (statistiquement) l’un des plus grands duos de l’histoire de la Serie A devant Maradona / Careca et proche du record établi par Del Piero / Trezeguet lors de la saison 2007/08. Antonio Di Natale a continué d’écrire sa Légende au Frioul jusqu’en 2016 (39 ans) en ajoutant encore quelques buts pour terminer sa carrière à la sixième place du classement des meilleurs buteurs de l’Histoire de la Serie A avec 209 buts devant Roberto Baggio, Kurt Hamrin, Giuseppe Signori ou Alessandro Del Piero. De son côté, Alexis Sánchez a poursuivi son parcours avec plus ou moins de succès. En Catalogne, il a d’abord mis du temps pour gagner ses galons de titulaires avant de signer une très belle dernière année. Ensuite, élément majeur avec Arsenal où il glane deux FA Cup, le Chilien quitte Londres pour Manchester sans connaître la même réussite avant de rebondir en Italie avec l’Inter et remporter très certainement le Scudetto 2021. Les tifosi de l’Udinese se souviennent encore de ce duo magique, savant mélange entre l’expérience sereine et la jeunesse triomphante.
Sources :
Crédits photos : Icon Sport
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