Lucarne Opposée
·7 février 2024
Lucarne Opposée
·7 février 2024
Après son élimination en demi-finale de la Coupe d'Asie 2023 face à la Jordanie, la Corée du Sud doit tirer des enseignements de son parcours. Jürgen Klinsmann voulait être jugé sur cette compétition ? Alors jugeons.
« S'ils gagnent dans un état où ils ne sont pas préparés, comme celui-ci, ils n'obtiendront que le résultat, sans aucun changement. Le football va tomber malade. Même si nous dépassons le Japon avec un vide de compétences, nous nous tromperons nous-mêmes. Pour parler franchement, nous ne devrions pas gagner ». C'est par ces mots que Son Woong-jung, père de Son Heung-min, abordait la compétition début janvier. Un mois plus tard, force est de constater qu'il avait raison. Le parcours des Guerriers Taeguk dans cette Coupe d'Asie peut être considéré comme réussi car meilleur que celui de 2019 avec une demi-finale. Mais uniquement retenir le résultat, ce que fera très certainement la fédération, ne fera pas progresser cette sélection. En y regardant de plus près, le positif se transforme en négatif et le résultat est l'arbre qui cache la forêt.
Quelques chiffres pour commencer sur ce parcours. En six rencontres, la Corée du Sud n'en a remporté qu'une hors prolongation, le match d'ouverture face à Bahreïn (3-1). Derrière, il n'y a deux matchs nuls face à la Jordanie et la Malaisie, deux victoires en prolongation face à l'Arabie saoudite et l'Australie et une défaite face à la Jordanie. Les Guerriers Taeguk ont inscrit onze buts (dont trois sur pénalty, deux sur coup franc et un contre son camps) et en ont encaissé dix. Un différentiel de +1. Lors de la demi-finale face à la Jordanie, la Corée du Sud n'a tiré que sept fois au but et n'a cadré aucun tir. En quarts, face à l'Australie, aucun tir n'avait été tenté en première période. Nous pourrions continuer ainsi avec chaque rencontre, le schéma est le même : les chiffres sont nombreux en défaveur des Guerriers Taeguk. Illustration que la Corée du Sud n'a eu aucune maitrise de ses matchs et qui des chiffres qui confirment qu'elle a réussi à atteindre la demi-finale en allant chercher deux miracles avec deux égalisations dans les derniers instants face à l'Arabie saoudite et l'Australie. Rappelons également que le match nul face à la Jordanie en phase de groupe a également été arraché à la dernière minute.
Bilan : 10/20. Le résultat obtenu avec le mental mais sans la manière.
Photo : HECTOR RETAMAL/AFP via Getty Images
Intéressons-nous maintenant à la tactique employée par Jürgen Klinsmann et son staff. Dès le début de la compétition, le sélectionneur allemand a opté pour un 4-2-3-1 modifiable en 4-4-2 au cours de la partie. Sauf exception, face à l'Arabie saoudite avec un 3-4-3 surprenant. Très vite, il est apparu que le problème majeur de cette équipe se localisait au milieu avec un double pivot qui n'a jamais fonctionné, notamment l'association Hwang In-beom – Park Yong-woo alignée sur quatre rencontres. L'association Lee Jae-sung – Hwang In-beom ne fut guère mieux. Ce double pivot a été constamment en retard dans sa couverture du terrain en phase défensive et également dans la proposition de solution aux défenseurs centraux, contraint de constamment jouer sur les côtés ou d'attendre que le milieu de terrain se positionne. Il a également été incapable de jouer vers l'avant en redoublant les passes vers l'arrière et d'accélérer le jeu. Sur le banc, aucune réaction de Jürgen Klinsmann malgré un défaut bien visible. À la 75e minute, face à l'Australie, lorsque ce double pivot est supprimé par la sortie de Hwang In-beom, le jeu s'en trouva fluidifié. Mais cette expérience ne fut pas répétée.
Autre sujet, les couloirs avec des choix de Jürgen Klinsmann encore douteux. Le début de compétition de Lee Ki-je, latéral gauche, fut un désastre pour le joueur et pour la sélection, avant qu'il ne soit définitivement mis sur le banc dès le troisième match. Deux matchs pour réagir sur ce poste. Dans le secteur offensif, Lee Kang-in n'a pas pesé dans son couloir gauche et n'a jamais été replacé dans l'axe alors que ses éclairs de génie ont tous eu lieu lorsqu'il repiquait en cours de match. Mais lorsque le joueur du Paris Saint-Germain dézonait, personne ne compensait dans le couloir droit, laissant ainsi un énorme vide et un manque de variété dans les attaques sud-coréennes. Ajouté à cela que la sélection des joueurs, que nous abordons juste en dessous, a limité les choix tactiques et vous obtenez une équipe sans idée et sans plan de jeu.
Bilan : 7/20. Le schéma de base semble le bon sur le papier, mais la sélection des joueurs ne fut pas la bonne. Aucune réaction de la part du staff de Jürgen Klinsmann qui s'est enfermé dans son idée même si celle-ci n'était visiblement pas à la hauteur. Seul Jürgen Klinsmann ne l'a pas compris.
Photo : Lintao Zhang/Getty Images
Il est temps d'en arriver aux joueurs et à la sélection de ceux-ci qui incombent au sélectionneur (nous y reviendrons). Évacuons rapidement le sujet des gardiens, il n'y a pas de débat. Les trois hommes qui ont été amenés au Qatar étaient les bons et malheureusement la blessure de Kim Sung-gyu après le premier match fut un énorme coup dur. Bien que Jo Hyeon-woo ait réalisé de beaux arrêts, son manque d'assurance au pied et dans les sorties aériennes n'a toutefois pas rassuré la défense.
La défense justement. Jürgen Klinsmann avait fait le choix de doubler chaque poste, mais il a amené avec lui des joueurs blessés comme Kim Jin-su (indisponible sur les deux premiers matchs) ou des joueurs en grande méforme comme Lee Ki-je qui ne jouait plus avec le dernier du championnat, les Suwon Bluewings, depuis octobre. Seol Young-woo et Kim Tae-hwan étaient de bons choix même si ce-dernier a connu une saison en dent de scie physiquement également. Une pensée pour Hwang Jae-won (Daegu), Ah Hyeon-beom (Jeonbuk) ou Park Seung-wook (Pohang) qui sont restés à la maison. En défense centrale, si Kim Min-jae, Jung Seung-hyun et Kim Yong-gwon ne faisaient pas de doute, pourquoi avoir sélectionné Kim Ji-soo et Kim Ju-sung ? Jamais ils ne sont entrés dans la discussion pour venir compenser les faiblesses de Jung Seung-hyun et Kim Yong-gwon qui n'ont clairement pas été à leur niveau sur la compétition. Nous n'avons pas reconnu l'arrière garde d'Ulsan au Qatar. Ha Chang-rae (Pohang) aurait lui été une bonne pioche après sa très bonne saison 2023 ou bien Park Jin-seob, pourtant sélectionné et pouvant évoluer en défense centrale.
Au milieu, l'incompréhension est totale. Jürgen Klinsmann a décidé de sélectionner Park Yong-woo et Park Jin-seop pour le poste de milieu défensif mais pas Paik Seung-ho (Jeonbuk) qui peut occuper cette position et est largement au-dessus des deux autres et qui aurait même pu occuper le poste de relayeur que ni Hwang In-beom ni Lee Jae-sung n'ont su remplir, bien que ce dernier ait eu de meilleures réussites que le premier. Si Park Yong-woo a connu une compétition catastrophique, c'est également le cas de Hwang In-beom qui a été beaucoup trop tendre et en manque d'implication dans un positionnement qui ne lui convient pas. Habitué à jouer plus haut en club, il doit l'être aussi en sélection. Lee Soon-min (Gwangju) n'a pas joué de façon inexplicable alors qu'il aurait pu être la solution dans l'entre jeu.
Photo : Lintao Zhang/Getty Images
En attaque, le manque d'ailier performant a été une véritable faiblesse. Lee Kang-in n'a pas et n'aura jamais cette capacité de débordement. Il est un joueur d'axe, c'est indéniable. Mais encore une fois, la sélection ne permettait pas d'autres choix avec seulement Yang Hyun-jun comme ailier droit (avec un faible temps de jeu en club...). Une pensée donc pour Um Won-sang (Ulsan) resté à la maison, alors que Moon Seon-min était présent. Sur la gauche justement, quatre joueurs pour un poste. C'était beaucoup trop et ça a poussé Son Heung-min a joué dans l'axe ou en pointe pour laisser la place à Hwang Hee-chan, diminué par son physique. De plus, sur ces quatre joueurs, deux étaient questionnables : Moon Seon-min et Jeong Woo-yeong (manque de temps de jeu en club). Lee Seung-woo (Suwon FC) aurait pu également faire partie de cette équipe lui qui a la particularité d'être aussi un joueur d'axe et qui a été très bon en K League cette année.
La position d'avant-centre enfin, Cho Gue-sung et Oh Hyeon-gyu (remplaçant en club) n'ont pas correctement rempli leur rôle. Mais avec le manque de solution, Jürgen Klinsmann n'avait pas beaucoup d'autre choix que de repositionner Son Heung-min à ce poste, sans succès. La présence d'un Joo Min-kyu aurait pu permettre de conserver la même tactique en changeant simplement de joueur. Mais lui aussi fut contraint de rester en Corée du Sud. Même la présence d'un joueur comme Heo Yool (Gwangju) aurait eu du sens.
Au global, aucun joueur ne fut performant sur l'intégralité de la compétition et c'est un véritable problème pour la Corée du Sud. Certains joueurs évoluent dans les grands clubs européens mais se mettent visiblement beaucoup trop de pression avec la sélection et déjoue complètement. Le fait de les voir être aligné à différent poste qui ne sont pas forcément leur meilleur, n'aide pas non plus.
Bilan : 11/20. Des choix logiques pour certaines positions mais beaucoup de manque à d'autres. Trop de joueurs en manque de compétition qui n'ont pas pesé sur les matchs. Le sélectionneur s'est lui-même privé de solution en laissant certains garçons en Corée du Sud.
Photo : KARIM JAAFAR/AFP via Getty Images
Venons-en maintenant au cas de Jürgen Klinsmann. Sur le choix des joueurs et la tactique que nous venons d'aborder il est entièrement responsable. Ce sont ses choix. Sur le niveau catastrophique des joueurs, il ne peut rien y faire il faut bien l'admettre. Mais par ses choix initiaux, il s'est lui-même privé de solution viable et n'a donc pas pu agir à la fois entre les matchs et en cours de rencontre. Il a également fait éclater aux yeux des supporters sont manque cruel de notions tactiques avec l'absence de jeu offensif défini. La Corée du Sud n'a cessé d'attaquer de façon stéréotypée sans variation. Elle a également manqué d'un collectif, laissant la sensation d'une équipe qui ne se connaissait pas avec aucun jeu en commun alors que Jürgen Klinsmann est à la tête de la sélection depuis un an. Il a été nombreuses fois questions d'exploit individuel pour s'en sortir.
De plus, Jürgen Klinsmann a été beaucoup trop confiant en conférence de presse et à l'attention des journalistes, se voyant déjà en finale et même soulever le trophée (rappelons qu'il a indiqué après le match face à l'Australie qu'il ramenait le trophée à la maison). Le sélectionneur allemand a été plus enclin à parler d'arbitrage (après Bahreïn et la Malaisie par exemple) que du niveau de son équipe et l'absence de jeu. En plus de tout ça, des images de lui souriant après la défaite face à la Jordanie ou le nul face à la Malaisie n'arrangent pas son image déjà bien écornée. Il aurait fallu faire profil bas. Il peut expliquer toutes les raisons qu'il veut, aucun entraîneur digne de ce nom ne peut réagir comme ça.
En dehors de la Coupe d'Asie, Jürgen Klinsmann ne semble pas impliqué dans son rôle de sélectionneur de la Corée du Sud avec une faible présence sur le territoire national. Il accorde beaucoup trop d'importance à ses autres missions sur ESPN aux États-Unis ou avec l'UEFA en Europe. Il suit la K League à distance via Wyscout, ce qui peut expliquer sa méconnaissance des joueurs du championnat.
Bilan : 2/20. Une énorme remise en question doit être opérée par le sélectionneur s'il décide de rester en place.
Que faire désormais ? Nous le savons, la fédération coréenne raisonne en cycle de quatre ans autour de la Coupe du Monde avec un objectif très ambitieux de sortir des groupes. Avec cette mentalité-là, aucune Coupe d'Asie ne pourra être remportée par un sélectionneur qui dispose de moins d'un an pour préparer la compétition (pour rappel, Paulo Bento n'a eu que quatre mois en 2019). Nous le répétons : la fédération doit changer son fusil d'épaule et d'abord régner en Asie pour être efficace en Coupe du Monde. Les cycles des sélectionneurs doivent être orientés sur la Coupe d'Asie en priorité. Cet échec est le moment idéal pour le faire en changeant de sélectionneur.
Mais les dirigeants sud-coréens auront-ils le courage de pousser Jürgen Klinsmann vers la sortie ? Rien n'est moins sûr puisque leur objectif est la Coupe du Monde 2026. Du côté du sélectionneur allemand, aucune volonté de démissionner. Dans ce contexte, il convient donc au moins de taper du poing sur la table envers lui pour qu'il change son approche et, idéalement, son staff pour l'accompagner sur le plan tactique. D'un autre côté, il faut bien l'avouer, si Jürgen Klinsmann part, qui pour le remplacer ? Pas grand monde. Et ce ne sont pas les décisionnaires de la Korea Football Association qui rassurent sur le sujet. Il est nécessaire d'opérer une grosse réflexion sur l'organigramme de la fédération avec notamment en ligne de mire Michael Müller, premier responsable de la situation actuelle qui a décidé de nommer Jürgen Klinsmann.
Par ailleurs, la KFA doit également travailler sur la formation des entraineurs sud-coréens qui, malheureusement, ont aujourd'hui tous la même approche, sauf rares exceptions. Mais ces rares exceptions sont trop tendres pour prendre la tête d'une sélection. Il faut également mieux accompagner les jeunes joueurs dans leur choix de carrière pour qu'ils évitent « l'Europe à tout prix » qui peut freiner leur progression (Lee Han-beom, Kim Ji-soo, Yang Hyun-jun, Jeong Sang-bin entre autres). Il est également important et crucial de développer le championnat local sur le plan économique. Trop de bons éléments s'envolent vers des championnats étrangers (et notamment du Moyen-Orient) plus faibles mais plus rémunérateur. Vous l'aurez compris, le football sud-coréen a un énorme chantier face à lui.