UltimoDiez
·18 novembre 2019
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·18 novembre 2019
La Coupe de France. Le théâtre des rêves et de l’irrationnel. Le berceau des plus beaux exploits. Calais, Carquefou, Quevilly, Les Herbiers. La Coupe de France, c’est aussi la Coupe de la France. La plus lumineuse des vitrines pour ces patelins ordinairement de l’ombre. Cette année, à qui le tour ? C’est la mission qu’on s’est fixé pour chaque week-end de coupe : dénicher LE petit poucet de cette édition 2019 et vous le faire découvrir, à notre sauce.
Tentative numéro 1 : SAS Epinal (N2) – FC Sochaux Montbéliard (L2). Samedi 16 novembre, 15h, Stade de la Colombière. 7e tour de Coupe de France
Bon. Soyons francs. Ce samedi, je me pointais sur Épinal sans grand espoir. Et je ne cause pas football. Je savais que mon avant-match puerait la défaite. La raison ? Un cocktail de souvenirs d’ex-Spinaliens se rappelant combien leur ville d’enfance pouvait être grincheuse l’automne tombé. Une morosité à faire paraître Ségolène Royal, l’une des stars du département, pour une punk s’enfilant les doses dans les chiottes du Sulky, ce bar rock du centre-ville d’Épinal.
Il fallait que je m’affranchisse de cela. Que j’aille voir la bête de mes propres yeux. Je suis donc arrivé en ville. Mais, très vite, en pleine rue piétonne, deux gigantesques doigts me font regretter le courage que j’avais pris à deux mains. Un index et un majeur de bronze, formant un V, exposés, sans grande délicatesse, en plein milieu de l’avenue. L’œuvre a 30 ans. Elle se nomme Liberté et a été réalisée par César. Je me fige devant durant quelques secondes. Je n’y arrive pas. Du tout. J’étais venu ici plein de bonnes intentions, réfutant les stéréotypes qu’on avait pu me mettre en tête sur cette ville. Et je tombe face à quoi ? Ça. Direction le Stade de la Colombière.
Deux groupes se partagent le parking de l’enceinte sportive. Que des hommes. Sur la gauche, ils sont une dizaine. Survêtement du SAS Épinal, sac du même club à leurs pieds, cheveux laqués et coiffés, ce sont les joueurs. Sur la droite, quelques mètres plus loin, le même nombre. Coupe-vent sur le dos, satin jaune et bleu au cou, planche de charcuterie et packs de 1664 à leurs pieds, ce sont les ultras. Les Bway Dread of Spineau plus précisément. Les garçons terribles d’Épinal pour être encore plus clair. « C’est un mélange de patois jamaïcain, d’anglais et d’ancien vosgien, explique Sébastien, le leader du groupe fondé en 2014. Notre noyau dur est composé d’un peu moins de dix personnes. On a décidé de s’émanciper de l’association de supporters du club pour monter notre truc. L’ambiance ne nous plaisait pas. C’était trop … vieux. »
Cela fait cinq ans que les Bway Dread of Spineau tentent de donner vie au Stade de la Colombière. Une date anniversaire symbolique qui n’a pas pu être célébrée pour le moment. L’enceinte est en travaux depuis le début de la saison. Pour son premier anniversaire, il y a quatre ans, le groupe avait fait les choses en grand. « C’était contre Béziers, se souvient Gauthier, l’un des membres les plus actifs. On a craqué quatre fois durant le match. »
Problème, le club n’a pas apprécié et a porté plainte. Non pas contre le groupe mais contre cinq de ses membres. « On s’est retrouvé avec cinq gars au commissariat et devant le juge alors que trois d’entre eux n’étaient même pas présents au match, raconte Sébastien. Les trois-là taffaient au moment des faits. » La cause de cet imbroglio ? Une pookie dans le SAS. « C’est une dame de l’association de supporters qui a balancé les noms, détaille le leader. Ce sont les cinq noms qu’elle connaissait du fait de notre passé dans l’association. » Aucun des cinq jeunes hommes n’a été condamné par la justice. « Même le juge nous a demandé ce qu’on foutait là », plaisante Tristan, un autre membre des BDS.
Bâche, drapeaux, deux-mâts. Adidas Gazelle, coupe-vent, satin. La panoplie de l’ultra-type est complète chez les Bway Dread of Spineau. Mais ce n’est pas tout, la mentalité suit l’apparence. « Nous, ce qui nous intéresse, c’est de chanter pour le club de notre ville, de se rejoindre en semaine pour confectionner les tifos et nos drapeaux, explique Tristan. Ici, on a tous déjà tenté Sochaux ou Nancy. Mais on n’a pas accroché. On est des Spinaliens. Épinal c’est notre ville. »
Le groupe participe même à certains déplacements. Là encore accompagné d’un certain folklore. Comme à Sedan, notamment, lorsque le parcage ne leur a pas été ouvert. « C’était le dep le plus chaud, se remémore Sébastien. On n’était que trois et, en plus, dans la même tribune que les ultras de Sedan. Tout le match ils nous rodaient autour. A la fin, on s’est retrouvé dans notre voiture encerclé par vingt ultras et indépendants sedanais. » Aucun vol de matos à signaler. « S’il avait fallu se mettre en boule sur la bâche je l’aurai fait », assure le leader.
Les BDS éprouvent toutefois de grosses difficultés à se pérenniser. « On pensait que ça serait compliqué de se lancer et qu’ensuite on allait prendre en nombre, avoue Sébastien. Finalement, c’est l’inverse. » Coincé entre Metz, Nancy et Besançon, villes universitaires, économiquement plus attractives et desservies par les grands axes autoroutiers français et européens, Épinal peine à s’affirmer comme une ville de premier plan dans le Grand-Est. « On a beaucoup souffert de cela, témoigne Tristan. Il y a des mecs du groupe qui sont partis étudier sur Nancy ou Besançon. Même moi je ne sais pas où je serai dans un an … »
Comme beaucoup de villes de second plan, le football n’est pas le sport numéro 1 à Epinal. Ici, c’est le hockey sur glace le patron. Présent dans l’élite de 2003 à 2018, le Gamyo Épinal est passé à deux doigts de décrocher le titre de champion de France en 2015. Défaite en finale contre Gap. « Un match comme celui d’aujourd’hui, c’est ultra important, explique Sébastien. Cela va ramener du monde. Dans notre bloc on sera une vingtaine. C’est le match de l’année. »
Non, ce n’est pas le début d’une vanne graveleuse. Le passage du Petit Chaperon Rouge, c’est là où se trouve le stade de la Colombière. L’enceinte est située au bout de cette impasse, en hauteur de la ville. Ce stade vous est familier, c’est sûr. En 2013, l’Olympique Lyonnais et le FC Nantes se sont cassé les dents ici, respectivement en 32e et 16e de finale de Coupe de France. En janvier 2018, l’OM s’est aussi pointé au stade de la Colombière, en 16e de finale. Victoire 0-2 des Marseillais. Les Bway Dread of Spineau s’en souviennent encore. « On s’est fait bombarder de clous, de vis et d’écrous tout le match, témoigne Sébastien, le leader. Aujourd’hui, ça se passera mieux. On en connaît pas mal des gars de Sochaux. Le capo est déjà venu en parcage avec nous il y a quelques années. »
Le stade de la Colombière est actuellement en travaux. Les deux tribunes couvertes, la tribune d’honneur et la tribune Wassmer, là où se situent les ultras spinaliens et le parcage, ne sont pas directement impactées. C’est la piste d’athlétisme qui se refait une beauté. Pour l’occasion, une tribune amovible d’environ cent places a été aménagée, derrière l’un des buts, au milieu du chantier boueux, des pelleteuses et des parpaings. Un folklore à un certain prix tout de même. 8 € la place pour la tribune temporaire et 15 € pour la tribune d’honneur. Liberté de César aurait eu plus de sens ici, les deux doigts collés. On aurait été avertis au moins. Finalement si, il était bien question de vanne graveleuse.
Premier arrêt au stand : la buvette. Un exode sensoriel vers le dimanche 15h et le football amateur. Les effluves de merguez, de bière et de vin chaud nous emportent. On y est bordel. On a payé pour cela. Épinal va le faire, c’est écrit. L’échauffement prend fin. Les joueurs rentrent aux vestiaires. La centaine d’ultras sochaliens prend place en parcage. Les Bway Dread of Spineau se mettent en place, bâche et drapeau jamaïcain accrochés aux grilles de chantier Loxam installées le long de la pelouse. On part s’installer en tribunes. On s’enfonce dans la boue. On en sort, difficilement. Nous y sommes. Le spectacle peut commencer.
Les vingt-deux acteurs pénètrent sur la pelouse. Fumigènes et pot de fumées jaune et bleu en parcage, papelitos et bâche, là aussi jaune et bleu, chez les BDS. Le coup d’envoi est donné. « On est allés les observer à de nombreuses reprises, commente Djamel Menaï, le coach adjoint du SAS Épinal. Un gros travail vidéo a été réalisé pour préparer ce match. On avait ciblé plusieurs points sur lesquels appuyer : les coups de pied arrêtés et la profondeur. L’idée était de les prendre dans le dos de leur charnière. »
Le match a commencé depuis seulement deux minutes qu’un premier frisson caresse le stade de la Colombière. Mickaël Biron, numéro 10 spinalien, est lancé dans la profondeur. Son centre en cloche finit sur l’équerre de Lawrence Ati Zigi, le jeune portier sochalien. La première demi-heure est clairement à l’avantage des amateurs. Épinal fait jeu égal avec Sochaux. La première grosse occasion du match est toutefois pour les visiteurs. Ismaël Gace, l’ancien défenseur central niçois ( 2006-2011 ), détourne, sur sa ligne, une frappe de Rassoul N’diaye, l’attaquant sochalien. Puis, à peine cinq minutes plus tard : la Colombière explose. Jean-Philippe Krasso lance en profondeur Mickaël Biron qui se charge d’exécuter chirurgicalement Zigi. 1-0 pour Épinal.
Mickaël Biron vole. Le numéro 10 spinalien est partout. Actif entre les lignes, précis dans ses passes et destructeurs par ses dribbles, le jeune Martiniquais est une plaie pour la défense centrale du FC Sochaux. « C’est un très jeune joueur, il est de 1997, détaille Djamel Menaï. L’an passé, nous l’avons affronté lorsque nous avons été joué contre son club en Martinique. Il nous avait fait un mal fou. On a décidé de nouer contact avec et de le faire venir ici. C’est un très gros potentiel. L’objectif est de grandir ensemble mais certains clubs de National, de Ligue 2 ou de Belgique sont déjà venus aux renseignements. »
L’homme du match est remplacé à la 70e minute après un contact avec un défenseur sochalien. Un arrêt de jeu qui permettra à l’un des supporters visiteurs, très bruyants et clamant plusieurs fois leur amour de l’apéro durant le match, d’essayer de réveiller Thomas Touré. « Bouge-toi le cul Touré bordel ! » Biron sort sous les applaudissements de la Colombière. Alpha Kubota, attaquant japonais de 23 ans, le remplace. 82e minute, Épinal double la mise. But de Kubota, après avoir été lancé en profondeur par Krasso. Le scénario se répète.
« Les garçons ont répondu au plan de jeu que Xavier Colin [NDLR : le coach d’Epinal] et moi leur avons donné, témoigne Djamel Menaï. C’est super appréciable pour nous et notre travail de voir que tout s’est déroulé comme prévu, que nos mouvements et circuits préparés la semaine ont fonctionné. »
La Colombière est debout, en transe. La célébration se fait sans envahissement de terrain, la faute aux travaux et aux grillages de chantier. Épinal a sorti le cinquième de Ligue 2. Un exploit de plus pour le club vosgien. « C’est la victoire de tout un club, se félicite l’entraineur adjoint. La victoire des joueurs, du staff, des bénévoles aux buvettes. On est très heureux. »
Les joueurs partent célébrer et chanter avec les Bway Dread of Spineau. Notre première tentative a fonctionné. La ville était laide, ça sentait la saucisse et la bière, mes chaussures sont foutues et une équipe amateur vient de taper un club professionnel. On a vécu un vrai match de Coupe de France. SAS Épinal 2-0 FC Sochaux-Montbéliard. Les deux doigts étaient donc prémonitoires.