Le Corner
·30 septembre 2021
Le Corner
·30 septembre 2021
Dans les années 1990, le football scandinave est au sommet de son art. Le Danemark fait office de pilier, avec l’essor dans les années 80 du jeune Michael Laudrup et de son portier légendaire Peter Schmeichel, et crée la surprise en remportant l’Euro 1992. La Suède aussi fait forte impression, en atteignant les demi-finales de l’Euro 1992 et de la Coupe du Monde 1994, défaite par le Brésil. Mais cette décennie sera également marquée par le petit poucet scandinave, la Norvège, avec à sa tête un homme : Egil Olsen.
VOIR AUSSI – Le Corner lance sa revue ! Son CV ne fait pas partie des plus fringants dans le monde du football. Un parcours de joueur dans son pays, la Norvège, entre Østsiden, Vålerenga IF ou encore Hasle-Løren et seize sélections nationales, pour aucun but marqué. Olsen est un ailier qui aime dribbler, ce qui lui vaudra le surnom de “Drillo”. Il s’est ensuite mué en entraîneur, toujours en Norvège, avant de passer le cap et devenir sélectionneur de son pays de toujours. À son arrivée en 1990, le pays ne compte qu’une participation en Coupe du Monde… en 1938. Une éternité. Mais l’ancien attaquant arrive avec ses idées, et un football très défensif, parfois considéré comme l’un des plus ennuyeux de l’histoire du football. Paradoxal lorsque l’on se remémore certains de ses gestes, et le fameux double petit pont qu’il adorait tant. Mais ici, le collectif prime, et la Norvège va devenir l’un des outsiders les plus craints.
Egil « Drillo » Olsen pendant Norvège – Brésil au Stade Vélordrome, lors la Coupe du Monde 1998
Egil Olsen arrive à la tête de la sélection le 11 octobre 1990, année de Coupe du Monde en Italie qui voit notamment le Cameroun atteindre les quarts de finale. Les Lions Indomptables, premiers adversaires de la Norvège d’Olsen, seulement 20 jours après sa nomination. Un bon morceau pour débuter… et une victoire écrasante six buts à un. Une avalanche de buts qui ne laisse que peu présager ce qu’il va s’en suivre, à savoir un football très défensif, proche du célèbre kick and rush, même si l’intéressé préfère évoquer “un style très direct et pénétrant”. Ce que recherche Drillo, c’est une solidité défensive inépuisable. Réduire au maximum l’espace entre les lignes, déplacer tout le bloc en fonction d’où se dirige le ballon, sans presser trop haut pour ne pas se faire prendre dans le dos. Cette tactique demande beaucoup d’effort physique mais crée un véritable bloc équipe quasiment impossible à surprendre. Ce qui fait alors la force de la Norvège. “Marquage de zone, jeu direct vers l’avant, et contre-attaques”, les trois fondamentaux de la Norvège des années 1990. Pour que cela fonctionne, Egil Olsen a à sa disposition les joueurs qu’il faut : Stig Inge Bjørnebye, un latéral gauche doté d’une excellente qualité de passe, et Jostein Flo, un robuste ailier d’1m97, à la réception des nombreuses transversales de son partenaire. Un passeur, un géant imprenable de la tête, une séquence de jeu bien définie qui trouva même un nom : la “Flo Pass”.
LIRE AUSSI – Louis van Gaal, l’antihéros d’Amsterdam Olsen est un fervent technicien, minutieux, qui analyse absolument tout. Toutes les statistiques qu’il pouvait trouver étaient rassemblées pour en tirer le meilleur parti. Cette recherche de l’efficacité pure, il la doit à son mentor, Charles Deep, le fondateur du kick and rush, un de ses précieux amis. Les analyses de Deep révélaient de nombreuses statistiques à la fois étranges et inspirantes pour Egil Olsen, dont l’une l’a particulièrement influencé : “Sur la base de 500 matchs qu’il avait analysés, il a découvert que 80% des buts étaient marqués en moins de trois passes”. C’est de ce genre de stat dont Drillo raffole. Technicien aussi brillant que méthodique, ses consignes étaient strictes, peu importe l’adversaire. Chaque match avait sa particularité, mais la base de son animation restait la même. Cependant, l’une des (nombreuses) critiques faites à ce jeu était le manque de liberté, d’improvisation. Olsen voulait que chaque joueur respecte à la lettre la tâche qui lui était confié.
“La seule chose qui me déplaisait vraiment, c’est le fait que je n’avais pas de liberté d’action, pas de choix, pas de capacité d’improvisation, puisque le geste que je devais exécuter avait été décidé par l’entraîneur”, Stig Inge Bjørnebye,
“L’important, c’est les trois points”. Cette maxime de Zinédine Zidane colle parfaitement avec ce que prône Egil Olsen, qui n’a que faire du beau jeu tant que son équipe gagne. L’efficacité en maître-mot, toujours. La Norvège devient petit à petit une équipe qui fait peur, non pas par son beau jeu donc, mais plutôt par sa défense imperméable. Les faits sont là, et à la fin du mandat d’Olsen, les statistiques le montrent : en moyenne, la Norvège aura encaissé seulement 0,6 buts par match entre 1990 et 1998. Mais si elle n’encaisse que très peu de buts, elle n’en marque pas beaucoup non plus. “0-0 devait être notre score fétiche. Je préférais un 0-0 qu’une défaite 3-2”. La Norvège s’appuie tout de même sur des joueurs techniques, comme Mykland ou Bohinen, le profil type du joueur voulu par Olsen restant tout de même un athlète. Faire d’une nation une place forte du football mondial requiert bien des étapes. L’une des principales est de participer à la Coupe du Monde, un événement que la Norvège attend depuis plus de 50 ans. Après trois ans sous les ordres d’Olsen, la Norvège atteint la deuxième place du classement Fifa, son plus haut classement. De quoi en faire un sérieux outsider et pourquoi pas la surprise de la compétition. Petit à petit, l’objectif Coupe du Monde rentre dans les têtes. Lors des éliminatoires pour l’édition de 1994, les Drillos, surnom donné à l’équipe Norvégienne en référence à son sélectionneur, terminent à la première place d’un groupe composé des Pays Bas, de l’Angleterre, de la Pologne, la Turquie, et Saint-Marin, qui subira une défaite cinglante, dix à zéro… face à la Norvège. Un groupe aux apparences relevé que les Norvégiens dominent, avec au compteur une seule défaite face à la Turquie. Revoilà donc la Norvège à la Coupe du Monde, au sein d’un groupe qui est encore aujourd’hui historique. La raison ? Les quatre équipes (Mexique, Irlande, Italie et Norvège) ont toutes terminé avec le même nombre de points, quatre, et la même différence de but, zéro. Reste alors à les départager au nombre de buts marqués, et là, le mal de la Norvège ressurgit. Seulement un but, par l’intermédiaire de Rekdal, insuffisant pour passer au tour suivant. Stig Inge Bjørnebye l’admet, “On n’avait pas l’expérience d’une participation en Coupe du monde, et on en a souffert”
Goncalves essaye de s’interposer face à Tore Andre Flo
Peu importe le résultat de la Coupe du Monde 1994, Olsen reste fidèle à ses principes de jeu. La Norvège ne parvient pas à se qualifier pour l’Euro 1996 mais se lance à la conquête de sa deuxième participation en Coupe du Monde consécutive, avec le mondial Français de 1998. En éliminatoires, les Drillos terminent une nouvelle fois en tête de leur groupe avec un bilan impressionnant : six victoires, deux nuls et aucune défaite, avec un total de 21 buts marqués pour seulement deux encaissés. Durant cette période, la Norvège se paye même le luxe de s’imposer face au Brésil en match amical, qui ne comptera que peu pour Olsen, toujours autant pragmatique. Des Brésiliens qu’Olsen et les siens vont retrouver en phase de poule de la Coupe du Monde 1998. Pour cette rencontre, comme pour toutes les autres, Olsen analyse pour que tout soit parfait, millimétré comme il le souhaite. Et tout ça avec une méthode bien à lui : “Mon travail, c’est de faire en sorte qu’on ait le plus d’occasions de buts, et sur ce match, on en a eu plus que le Brésil.” La Norvège s’impose deux buts à un et fait chuter le grand Brésil. Cette victoire définit toute l’identité de la Norvège d’Olsen, une équipe capable de battre n’importe qui, comme il le répétait à ses joueurs. Le tout seulement si son équipe joue plus de ballons vers l’avant que son adversaire, car la base de son football, c’est bien d’aller de l’avant.
Finalement, la Norvège céda en huitièmes de finale face à l’Italie, sur un score bien représentatif, un but à zéro. Mené, la Norvège ne dérogea pas à ses principes défensifs, ce qui suscita l’étonnement de Paolo Maldini. Certains y verront là comme une juste sanction. Ce mondial marque la fin de la période Olsen. Huit années au bilan chiffré impressionnant, durant lesquelles la Norvège aura participé à deux Coupes du Monde, battu à chaque reprise son voisin et grand rival Danois, atteint la seconde place du classement Fifa, et restera invaincue sur ses terres. Les deux victoires face au Brésil, cumulées à deux matchs nuls avant et après Egil Olsen, font de la Norvège la seule équipe au monde à n’avoir jamais perdu face à la Seleção. Une statistique signée Drillo.
Egil Olsen aura marqué l’histoire du foot norvégien de par son pragmatisme. Une efficacité devant cumulé à une solidité défensive hors-normes. Il affiche un bilan de 52% de victoires et une différence de buts affolante de +105. La principale qualité d’Olsen a été de toujours s’appuyer sur les forces en présence. Même s’il n’avait pas les meilleurs joueurs du monde, en prenant la règle la plus basique du football qui est de marquer un but de plus que l’adversaire, il a fait de la Norvège une équipe tueuse à gage. Après de courtes expériences à Wimbledon et avec la sélection Irakienne, Olsen revient sur les bancs de la sélection norvégienne. Mais sa méthode ne prend plus. Le foot a évolué, pas lui. Il l’avouera, son équipe était peut-être ennuyeuse mais elle gagnait, et c’était bien là l’essentiel. Si la Norvège s’est faite un nom sur la planète football, elle le doit bien à un homme. Une légende Viking.
Sources
Crédits photos : Icon Sport