OnzeMondial
·14 décembre 2021
OnzeMondial
·14 décembre 2021
Gaël Clichy n'est plus à présenter. L'ancien latéral gauche de l'équipe de France, notamment passé par Arsenal et Manchester City, est revenu en exclusivité pour Onze Mondial sur sa très riche carrière. Le natif de Toulouse évolue aujourd'hui en Suisse, à l'âge de trente-six ans. Avec la même envie d'apprendre qu'à ses débuts. Entretien.
Tu es né le 26 juillet 1985 à Toulouse, une ville de rugby. Pourquoi le football ?
Cela vient de mon père. Il adore le foot ! Aujourd’hui, j’ai trente-six ans et je n’ai toujours pas vu le moindre match de rugby au cours de toute ma vie (rires) ! C’est vrai que Toulouse est une ville de rugby mais quand tu es mordu de foot, il n’y a que ça qui compte.
Tu dis souvent que ton père a joué un grand rôle pour toi. En quoi a-t-il été déterminant dans ta carrière ?
Pour un enfant, la figure paternelle est très importante. Mon père, c’était un peu mon héros quand j’étais jeune. Il jouait au foot à l’AS Hersoise, un club amateur toulousain. Je l’ai toujours accompagné lors de ses matchs et de ses entraînements. Je n’avais pas beaucoup de jouets à la maison, mais j’avais un ballon. J’ai passé des heures dans mon jardin. Mon père m’a transmis son amour pour le football. Il a même été mon éducateur jusqu’à mon départ au centre de formation de l’AS Cannes.
Tu es arrivé à l’AS Cannes en 2000 alors que tu n’étais qu’un adolescent. Comment t’es-tu adapté à ton nouvel environnement ?
J’ai eu la chance de faire ma préformation au CRF (Centre Régional du Football, ndlr) de Castelmaurou. C’est un peu similaire à l’INF Clairefontaine. La semaine, je dormais au centre et le week-end, je jouais avec mon club. Même si c’était à côté de chez moi, ça m’a bien préparé à quitter le cocon familial. J’ai vu plusieurs jeunes qui n’étaient pas préparés s’effondrer. Pour les joueurs de foot, on parle souvent de sacrifices à faire. Je n’ai jamais perçu ça comme un sacrifice. J’aime tellement le ballon que j’étais content d’être au même endroit que d’autres jeunes de mon âge pour exercer ma passion.
La même année, tu es victime d’un accident en escaladant un portail. Une partie de ta peau s’arrache, ce qui provoque un œdème pulmonaire. Tu as failli mourir. En quoi cela t’a donné plus de recul sur la vie ?
Après cet épisode, j’ai commencé à aborder la vie différemment dans le sens où je me suis rendu compte que tout pouvait basculer d’une minute à l’autre. Aujourd’hui, on est tellement happé par le quotidien qu’on a pas le temps de réaliser qu’on est chanceux. C’est une chance d’être en vie, d’avoir un toit et de pouvoir manger correctement. On n’arrive pas à se rendre compte que des gens rêvent de ça. Demain, on peut ne plus être là. Il faut profiter de chaque moment de la vie.
Finalement, tout se passe très bien pour toi. En 2002, tu brilles lors de l’Euro U17 avec la France et tu te fais remarquer. Comment passer ce cap qui peut ouvrir les portes d’une carrière professionnelle ?
La recette, c’est d’être fort mentalement. Même à un très jeune âge, il ne faut pas s’enflammer et rester conscient. Il est donc impératif de respecter des règles strictes et de fournir des efforts importants au quotidien. Ce n’est pas donné à tout le monde. Beaucoup de joueurs avaient plus de qualités que moi. Mais peut-être qu’ils n’aimaient pas autant le football que moi, ou qu’ils n’ont pas su faire les efforts que j’ai pu fournir. Il faut accepter de rentrer dans un cycle qui se répète chaque lundi.
Lors de l’été 2003, tu sors d’une saison en National avec Cannes. Tu signes à Arsenal alors que tu avais d’autres opportunités, comme l’OM par exemple. Pourquoi ?
C’est vrai que beaucoup de clubs étaient intéressés, en France comme à l’étranger. L’idée première, c’était de franchir les étapes pas à pas. J’aurais pu signer en Ligue 2 afin de poursuivre ma progression, et ensuite aller en Ligue 1. Mais un jour, mon père m’a appelé et m’a dit qu’Arsène Wenger voulait me rencontrer. Forcément, ça a tout chamboulé. Arsenal, à l’époque, ce n’était pas l’équipe que l’on connaît aujourd’hui sans vouloir manquer de respect. C’était un club d’une dimension supérieure avec des joueurs que tout le monde connaît dont Thierry Henry, l’une de mes idoles. Je me suis retrouvé en tête-à-tête avec Arsène Wenger. Il a loué mes qualités. C’était compliqué de refuser. Son discours était très construit, et sincère. Il voulait vraiment que je fasse partie de l’aventure afin de me faire progresser.
Qu’est-ce qui rend Arsène Wenger si différent, si spécial ?
Je pense que c’est le seul entraîneur qui est capable de prendre un joueur à l’âge de seize ans et de le faire progresser au point de devenir une star internationale. Il fait partie des meilleurs techniciens de ces dernières années. Il est conscient que les jeunes joueurs peuvent avoir des lacunes au plus haut niveau, et malgré ça, il n’hésite pas à les faire jouer. Quand j’avais vingt-cinq ans, j’avais déjà disputé une cinquantaine de matchs en Ligue des champions. C’est donc un manager qui prend des risques. Il n’a jamais eu peur de mettre en avant la jeunesse. Arsène Wenger, c’est un peu mon deuxième père.
En quoi le fait d’arriver dans un vestiaire très francophone a pu faciliter ton adaptation ?
En Angleterre, les jeunes de ma génération devaient nettoyer les crampons des pros ou ranger le matériel. Quand il faisait trop froid, on ne pouvait même pas mettre un bonnet ! Ce qui peut être très intimidant. Forcément, quand on arrive dans un vestiaire avec autant de Français, tout devient plus évident. Lors de mes premières années à Arsenal, j’étais comme un étudiant à l’université. Je devais m’informer et me renseigner. Quand je parlais avec Patrick Vieira, Robert Pirès ou même Denis Bergkamp, c’est comme si je lisais un livre qui m’apprenait quelque chose de nouveau. Cela aurait été criminel de ne pas apprendre de ces joueurs. Ma réussite dans le foot, je la dois en grande partie à ces mecs. Ils m’ont appris à me comporter en tant que footballeur mais aussi en tant qu’homme.
Tu as cité quelques grands noms d’Arsenal. Mais lequel de ces joueurs-là était le plus impressionnant à tes yeux ?
Thierry Henry. C’était l’idole de tout le monde en France à l’époque. Aujourd’hui encore, les gens sont émerveillés quand ils l’entendent parler sur Amazon Prime Video. Il a un charisme énorme. Mais j’ai envie de mentionner trois autres joueurs, dont on parle un peu moins : Jérémie Aliadière, Pascal Cygan et Kolo Touré. Jérémie a joué un rôle très important dans mon adaptation. Il m’emmenait à l’entraînement, je n’avais pas encore le permis à l’époque (rires). Quand je suis arrivé, je ne parlais pas du tout anglais, et lui a su me prendre sous son aile. Pascal a été très présent pour moi dans le sens où il jouait un peu moins que les autres. Je passais donc beaucoup de temps avec lui. Il m’a appris à me comporter dans un vestiaire de professionnels. Enfin, j’ai toujours pu compter sur Kolo. J’étais même très proche de sa famille.
Au départ, tu étais barré par Ashley Cole. Quels conseils a-t-il pu te donner ?
Ashley, ce n'est pas un simple joueur. Pour moi, c'était le meilleur à son poste à l'époque. Mais pour être honnête, ce n'est pas un joueur avec qui j'ai pu beaucoup échanger. Il y avait bien évidemment la barrière de la langue. Je me rappelle d'une fois où il m'a conseillé de ne pas regarder ses matchs comme un spectateur, mais comme un spécialiste. Je me suis donc mis à analyser son comportement après un carton ou à la suite d'une occasion loupée par exemple. Je l'ai aussi observé sur l'aspect mental, quand on enchaînait les victoires. Beaucoup de joueurs se voient trop beaux après une série de bons résultats, mais pas lui. Il savait rester concentré. J'ai énormément appris à ses côtés, c'était une chance pour moi de travailler au quotidien avec lui.
En 2006, Cole rejoint Chelsea et tu t'imposes en tant que titulaire. En 2008, tu es élu meilleur latéral gauche de la saison en Premier League. Qu'est-ce que cela a changé pour toi ?
Dès ma première saison à Arsenal, le club a été sacré champion d'Angleterre et n'a pas perdu le moindre match en championnat. Lorsque j'ai soulevé le trophée à Highbury, j'ai réalisé tout ce que le football pouvait m'apporter. J'ai compris à ce moment-là que le football, c'était beaucoup plus grand que le simple fait de jouer. Quand je suis arrivé, on n'attendait rien de moi. On souhaitait simplement que je sois respectueux et rigoureux. J'étais là avant tout pour progresser. En revanche, après ma saison très aboutie, les attentes se sont décuplées. Je n'étais plus le jeune joueur qui allait faire quinze matchs dans la saison. Faire une saison dans la peau d'un titulaire dans un club comme Arsenal, c'est très difficile. Je devais être performant tous les trois jours. Sinon, un autre pouvait prendre ma place. C'est vraiment là que j'ai compris que le foot était devenu mon métier.
Malgré cette saison complète, tu n'es pas appelé par Raymond Domenech pour disputer l'Euro avec l'équipe de France. Comment l'expliques-tu ?
Peut-être que j'aurais dû être appelé. Mais avec le recul, je me dis que c'est très compliqué de sélectionner un joueur qui ne connaît pas le niveau international pour disputer un Euro. Ce n'était même pas une déception ou un regret car j'étais content de ma saison et je savais que mon heure allait venir. En plus, la concurrence était féroce (rires). Peut-être que si j'étais tombé dans une autre génération, j'aurais pu avoir plus de temps de jeu en sélection. Il y avait quand même Éric Abidal, qui était dans une formidable équipe de Barcelone, et Patrice Évra, qui jouait à Manchester United, l'équipe la plus performante en Angleterre à l'époque.
Finalement, ta première sélection intervient très rapidement, en septembre 2008 face à la Serbie. Qu'est-ce que tu as ressenti lorsque tu as porté ce maillot bleu ?
Il n'y a rien de plus beau. C'est un grand honneur. Tout le monde rêve de porter le maillot de l'équipe de France. Même un banquier ou un médecin (rires) ! Faire partie du cercle des joueurs qui ont pu porter le maillot des Bleus, c'est quelque chose d'unique. Ça restera gravé à jamais. Je me dis que je suis chanceux.
Quelle est la plus grande différence entre le fait de jouer en club et celui de jouer en sélection ?
C'est plus facile d'être performant dans son club car on est dans un environnement que l'on connaît bien. Être performant en sélection, c'est autre chose. Même un match amical contre une équipe très faible, ça demande énormément d'énergie mentale. Jouer pour son pays, c'est différent. Il y a comme un poids, qu'il faut assumer. C'est d'ailleurs difficile de l'expliquer à un joueur qui n'a pas eu la chance de côtoyer le niveau international. Didier Deschamps a très justement déclaré à ce sujet qu'il n'y a pas de matchs amicaux quand on joue avec l'équipe de France.
Avec Arsenal, tu enchaînes les bonnes saisons et tu joues tous les ans en Ligue des champions. Tu as croisé le FC Barcelone de Pep Guardiola lors de deux saisons consécutives. Quel regard portes-tu sur cette équipe ?
Je pense que Guardiola, et plus globalement cette génération-là, a changé le football. Entre l'époque où j'ai signé à Arsenal et aujourd’hui, le football a beaucoup évolué. Selon moi, c'est cette équipe-là qui a fait basculer le football dans une nouvelle ère. Elle était méchante dans le sens où elle n'avait aucune pitié pour l'adversaire. On peut gagner une Ligue des champions ou un championnat grâce à la chance ou au hasard, mais pas six titres en une seule saison. Guardiola ne laisse rien au hasard. Il sait être dur, et même parfois cruel, avec certains joueurs. Bien entendu, quand on parle de Messi, Xavi ou Iniesta, ça ne devait pas être le cas avec eux (rires). Son héritage à Barcelone est resté même après son départ. Cela force le respect.
Lors de ces confrontations avec Barcelone, ton adversaire direct n'était autre que Lionel Messi. Comment défendre face à lui ?
Il faut espérer qu'il ne soit pas dans un bon jour ! Pour l'affronter, il faut être au top de sa forme. Et bénéficier d'un immense esprit collectif autour. Il faut essayer de bloquer son phénoménal pied gauche, même si son pied droit est plus que correct. Aujourd’hui, je me dis que c'est une chance d'avoir pu affronter Messi à plusieurs reprises. D'autant plus que je n'avais pas été ridicule…
En 2010, dans la lignée de tes bonnes performances, tu es sélectionné pour la Coupe du monde en Afrique du Sud. Sans trop revenir sur ce qu'il s'est passé là-bas, qu'est-ce que cet épisode t'évoque à titre personnel ?
Même si ça ne s'est pas très bien passé, c'est une fierté pour moi d'avoir pu disputer une Coupe du monde avec l'équipe de France. C'était mon rêve depuis tout petit. J'y songeais déjà bien avant mon arrivée à Arsenal. Ça a toujours été quelque chose d'unique à mes yeux. Bien évidemment, j'aurais aimé que cela se passe différemment, c'est certain. Mais je ne regrette en rien ma participation à ce Mondial. Ce qu'il s'est passé, c'est la vie. C'était le destin de cette équipe.
L'année suivante, tu t'engages à Manchester City. En quoi était-ce important pour toi de rejoindre une équipe aussi ambitieuse ?
Je devais passer un cap ! J'avais besoin de franchir une nouvelle étape et j'ai senti que c'était le moment pour moi de tourner la page. Remporter des trophées, c'est quelque chose d'important dans la carrière d'un joueur de haut niveau. J'avais besoin d'un challenge plus important pour atteindre mes objectifs. Partir à City, sans vouloir manquer de respect à Arsenal, c'était nécessaire. En six saisons, j'ai notamment remporté deux Premier League. J'ai pu découvrir un autre niveau. C'est ce qui m'a permis, à mon sens, de m'imposer en équipe de France sous les ordres de Laurent Blanc.
Tu es donc appelé pour l'Euro en fin de saison. À l'époque, les Bleus s'appuyaient beaucoup sur la fameuse génération 87. Quel joueur issu de cette génération était le plus fort selon toi ?
(réflexion) C'est difficile de parler des individualités. J'ai eu la chance de jouer avec Samir Nasri à Arsenal et à Manchester City. C'est un joueur que l'on ne voit pas tous les jours. Et l'homme, il est extraordinaire. Je suis quelqu'un d'assez pragmatique. Plus que la qualité intrinsèque d'un joueur, c'est sa carrière qui compte. Quand je vois quelqu'un comme Karim Benzema, qui est au Real Madrid depuis douze ans, c'est inspirant. Cela en dit long sur sa mentalité et sur son talent. Je lui tire mon chapeau. Garder les pieds sur Terre, savoir se réinventer et conserver cet amour du football, ce n'est pas simple. Si je devais faire un classement, je mettrais donc Karim en premier pour sa régularité. Samir en deuxième et Hatem Ben Arfa en troisième.
À Manchester City, tu évolues aux côtés de certains des meilleurs joueurs du monde. Comment t'es-tu imposé dans un tel vestiaire ?
Tout s'est fait naturellement. Je n'avais aucune appréhension, aucune pression. J'avais connu Thierry Henry, Patrick Vieira, Sol Campbell ou Martin Keown à Arsenal. Je n'étais donc aucunement impressionné. Quand je suis arrivé, j'étais le seul joueur de l'effectif avec Carlos Tévez qui avait plus de cinquante matchs en Ligue des champions à son actif. J'étais très expérimenté et je connaissais le football anglais par cœur. City m'avait aussi recruté pour ça. Le club avait besoin de joueurs de ce profil pour aller de l'avant. Il y avait deux ou trois internationaux par poste. L'équipe souhaitait être compétitive sur tous les tableaux. Il fallait être tout le temps performant. Et encore (rires) ! Tu pouvais parfois être excellent et te retrouver sur le banc lors du match suivant.
Quand tu arrives, Roberto Mancini est à la tête de l'équipe. L'été dernier, il a notamment remporté l'Euro avec l'Italie. C'est un entraîneur qui a gagné partout. Quelle est sa recette ?
Si je devais le comparer à quelqu'un, ce serait à Didier Deschamps. Mancini est un grand meneur d'hommes. Il a cette fameuse culture de la gagne. C'est quelque chose d’inné, mais ça se cultive. C'est un travail de tous les instants. Il est charismatique et très proche de ses joueurs. Mais il sait être dur. Il n'a pas de temps à perdre. Soit tu es performant, soit tu ne l'es pas. Et si tu ne l'es pas, tu sors de l'équipe. De ce fait, tous les joueurs de l'effectif se tirent la bourre pour être au maximum. Avec lui, c'est le collectif avant tout. Arsène Wenger, par exemple, préfère laisser sur le terrain un joueur qui enchaîne les mauvaises prestations jusqu'à ce qu'il retrouve un bon niveau.
Lors de ta première saison à City, ton équipe remporte la Premier League dans les toutes dernières secondes face à QPR grâce à un but de Sergio Agüero (3-2). Comment as-tu vécu ce moment historique ?
C'est très difficile à décrire… Sur le plan personnel, c'était fort. Je venais d'arriver d'Arsenal quelques mois auparavant. C'était une décision difficile à prendre car je me voyais faire toute ma carrière à Arsenal, avec un entraîneur, un président et des supporters qui ont toujours été là pour moi. Mais je devais gagner des trophées. J'avais donc à cœur de remporter ce titre avec City. Pour revenir sur le match, j'avais un peu perdu la notion du temps ce jour-là (rires). Le scénario était fou, extraordinaire. Remporter ce titre à la dernière seconde, ça restera gravé dans l'histoire du football.
Tu enchaînes les saisons de haut niveau mais en 2014, tu n'es pas appelé par Didier Deschamps pour disputer la Coupe du monde 2014 au Brésil. Comment as-tu réagi à cela ?
C'était un petit peu décevant. On parle quand même d'un Mondial au Brésil, le pays du football ! Ne pas être appelé pour l'Euro 2008, c'était normal. Je commençais à peine et des joueurs étaient déjà installés à mon poste. En plus, je savais que ça allait venir tôt ou tard. Pour le Mondial 2014, en revanche, j'avais pris part à la plupart des matchs qualificatifs. Je jouais à Manchester City, qui dominait le championnat anglais à ce moment-là. J'enchaînais les bonnes performances et je gagnais des trophées, ce qui n'était pas le cas à Arsenal. Je me sentais légitime. Pour autant, je n'en ai jamais voulu à Didier Deschamps.
Pourquoi ?
Didier Deschamps, c'est un entraîneur que j'admire. Comme Guardiola, il n'a pas d'états d'âme. Il arrive à galvaniser un groupe, à le fédérer. Il sait très bien gérer son effectif. Aujourd'hui, c'est sa plus grande force. Il arrive à faire en sorte que ses titulaires ne se sentent pas menacés par la concurrence. Il sait les garder concernés. Sa méthode fonctionne plus que bien, c'est grâce à lui que l'équipe de France a retrouvé des couleurs. Son palmarès force le respect.
En 2016, Pep Guardiola prend les rênes de Manchester City. Certains affirment que Guardiola ne gagne qu'avec des effectifs très fournis. La méthode Guardiola ne dépasse-t-elle pas le simple cadre du palmarès ?
(il hésite) Cette question mérite un très long développement (rires) ! C'est sûr que c'est plus facile quand ton premier choix s'appelle David Silva, et que ton deuxième choix s'appelle Bernardo Silva. C'est très simple d'avoir Sergio Agüero en numéro un, et Gabriel Jesus en numéro deux. Faire sortir Yaya Touré et faire rentrer Kevin De Bruyne, ça aide (rires). Avoir des résultats avec de tels joueurs, c'est facile. Maintenant, gérer un groupe avec autant de talent, c'est autre chose. Pour moi, la formule Guardiola est réelle, et fonctionne. Ses méthodes sont phénoménales. Il est très talentueux, c'est indéniable. S'il a entraîné le Barça, le Bayern et City, cela signifie que sa méthode marche. Il a une autre façon de voir le football, avec des idées très claires. Après, j'aimerais bien le voir à Everton par exemple, un club où les moyens financiers ne sont pas illimités. Je sais que cela n'arrivera jamais, mais j'aimerais bien le voir tenter ce genre de challenge.
Tu n'as joué qu'une seule saison sous ses ordres. En quoi t'a-t-il fait progresser ?
Il m'a fait voir le football d'une autre manière. Plus que ça, il a complètement changé ma vision du foot. Quand on a la chance de le côtoyer, on s'attache à sa vision, à ses pensées. Par exemple, aujourd'hui, lorsque je regarde un match, je ne comprends pas comment on ne peut pas voir les choses de la même façon que lui. Cela peut paraître simple, mais ce n'est pas le cas du tout. Il est impressionnant, il ne jure que par le travail. Le voir autant impliqué, c'est beau. J'aurais aimé le rencontrer quelques années plus tôt.
Mikel Arteta, qui est aujourd'hui à la tête d'Arsenal, faisait partie du staff de Guardiola à City. Penses-tu qu'il soit l'entraîneur idéal pour les Gunners ?
Oui ! Je crois que ça a été un luxe pour lui d'apprendre de Pep. Je pense qu'il a tout pour être un très bon manager. Selon moi, il a besoin de temps. Arsenal doit être patient avec lui. Il a des idées bien précises, très proches de celles de Pep. La manière dont Pep travaille est contagieuse. Comme lui, il a été formé au Barça. Après, Mikel a beaucoup moins d'expérience que Pep. Et forcément, quand il enchaîne quelques mauvaises performances, certains n'hésitent pas à remettre en question ses méthodes. Ce qui n'est pas le cas avec Pep, car ce dernier a déjà tout prouvé. Mikel doit encore faire ses preuves, avec un groupe qui n'est pas très homogène qualitativement. L'été dernier, Arsenal a dépensé beaucoup d'argent. Mais selon moi, ce n'est pas assez qualitatif. Une tâche très difficile l'attend, d'autant plus qu'il évolue dans le championnat le plus compétitif du monde.
En 2017, tu t'engages librement avec l'İstanbul Başakşehir, où tu retrouves notamment ton ancien coéquipier Emmanuel Adebayor. Pourquoi rejoindre la Turquie ?
Plusieurs clubs étaient intéressés, notamment en Angleterre. Mais sans vouloir manquer de respect à ces équipes-là, j'avais connu Arsenal et Manchester City. Je me souviens de Pablo Zabaleta qui avait signé à West Ham au même moment. Quand on a conduit une Ferrari toute sa vie, c'est difficile d'opter pour une citadine du jour au lendemain (rires). Cela n'a pas été facile de quitter la Premier League, mais je ne me voyais pas rejoindre un autre club anglais après mes expériences à Arsenal et à City. En ce qui concerne la Turquie, j'ai parlé avec Emmanuel et je me suis dit qu'il y avait quelque chose à faire. Başakşehir est un club très jeune (né en 1990, ndlr). Pouvoir écrire l'histoire de ce club, ça m'excitait. Je pense que mon choix a été le bon, puisque l'équipe a été sacrée championne de Turquie en 2020. Je souhaitais faire grandir le club, je me suis beaucoup impliqué. Je pense que j'ai laissé une bonne image auprès du groupe, des dirigeants et des supporters.
En quoi la passion des Turcs pour le football est-elle différente ?
Ce sont des fanatiques ! Mon Dieu… C'est juste incroyable ! Je me rappelle d'un déplacement à Galatasaray. On jouait le titre, et il restait deux matchs. On avait deux points d'avance sur eux donc si on gagnait, on s'assurait quasiment le titre. À la mi-temps, on gagnait 1-0. Je me rappelle d'un homme qui est arrivé et qui a dit : « Si vous gagnez, vous ne sortez pas du stade ce soir ». C'est très significatif de la ferveur que l'on peut trouver en Turquie. C'est bien au-delà de ce que j'avais pu connaître en Angleterre. Il n'y a pas vraiment d'organisation. On peut voir des présidents sauter dans les tribunes ou se battre avec des supporters (rires). Avec les Turcs, c'est tout ou rien. Si tu es bon, tu es le « King » comme ils disent. Mais si tu rates un match, tu n'es plus rien du tout. Ils peuvent te décrocher la Lune, ou t'oublier du jour au lendemain. Ils agissent avec leur cœur.
En décembre 2020, tu t'engages en Suisse avec le Servette, un club basé à Genève. Aujourd'hui, tu as trente-six ans. Comment vois-tu ton avenir ?
Forcément, plus on prend de l'âge, plus on se pose des questions. En Turquie, j'avais beaucoup de responsabilités dans le vestiaire, auprès des jeunes notamment. J'ai vu que ma manière de communiquer pouvait être acceptée au sein d'un groupe. Je suis ensuite arrivé au Servette grâce à mon ami Philippe Senderos (ancien défenseur central d'Arsenal, ndlr), qui n'est autre que le directeur sportif du club. Mon amour pour le football est toujours aussi intact. Transmettre ma passion à des jeunes, c'est quelque chose qui m'anime. Après plus de vingt ans dans le foot, c'est compliqué de m'imaginer dans un autre domaine.
Tu te diriges donc vers une carrière d'entraîneur !
Clairement ! Lorsque j'ai travaillé sous les ordres de Pep Guardiola, je me suis dit que devenir entraîneur était quelque chose que j'aimerais bien faire. Aujourd'hui, je suis toujours en contact avec mes anciens coéquipiers devenus coachs comme Patrick Vieira, Vincent Kompany ou Emre Belözoğlu par exemple. Pourquoi pas travailler avec eux pour m'aguerrir ? Je suis en train de passer mes diplômes d'entraîneur. J'ai vraiment envie de tenter l'expérience. C'est excitant et stimulant. J'ai envie d'apprendre. C'est essentiel. Si j'ai pu réaliser la carrière qui est la mienne, c'est parce que je n'ai jamais eu peur d'apprendre ! Je n'étais pas le plus talentueux, mais j'ai beaucoup travaillé. Aujourd'hui, je me retrouve de nouveau dans ce schéma-là. J'ai envie d'atteindre mes objectifs.
En prenant un peu de recul, quel est l'adversaire qui t'a le plus impressionné au cours de ta carrière hormis Lionel Messi et Cristiano Ronaldo ?
Celui qui m'a donné le plus de fil à retordre, c'est Shaun Wright-Phillips ! Même si on met Messi et Ronaldo dans l'équation. Il était assez atypique dans le sens où il possédait un centre de gravité très bas. Il était bien plus petit que moi (rires). C'est un joueur qui était très rapide, surtout lorsqu'il était lancé. Il n'avait pas de chemin préférentiel. Il s'adaptait à son défenseur. Si tu bloquais la ligne, il allait prendre l'intérieur. Si tu fermais l'axe, il allait prendre le couloir. Il avait souvent les contres favorables et était énormément dans l'anticipation. Jouer contre lui, c'était un sacré challenge !
Quel est le onze de tes rêves ? Avec une petite condition : tu dois t'inclure !
C'est aussi facile que difficile ! Je vais jouer en 4-3-3. Dans les buts, ce sera Joe Hart. C'est un monstre ! Je vais mettre Bacary Sagna à droite. Il n'a pas le respect qu'il mérite en France selon moi. Défensivement, il était extraordinaire. J'ai un faible pour le duo Vincent Kompany – Joleon Lescott en défense centrale. Kompany était au-dessus du lot. Quant à Lescott, j'étais très proche de lui. À gauche, ce sera moi (rires). Au milieu de terrain : Patrick Vieira, Yaya Touré et David Silva. En optant pour un 4-3-3, je me rends compte que je vais laisser Denis Bergkamp de côté (rires) ! Je vais mettre Franck Ribéry à gauche, même si j'aurais pu mettre Robert Pirès, qui était incroyable à Arsenal. À droite, je vais choisir Raheem Sterling. Il sait être décisif. En pointe, j'aurais pu mettre Sergio Agüero, qui a battu tous les records à City. Mais c'est la place de Thierry Henry (rires) ! Il représente quelque chose d'immense à mes yeux. Je pense que c'est le meilleur joueur de l'histoire du championnat anglais.
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