WEEPLAY®
·16 décembre 2019
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Tout juste relégué au troisième échelon de la pyramide footballistique danoise, le FC Helsingør a subi ces derniers mois une révolution en interne. Digne d’une carrière « Football Manager » et mené par un groupe d’investisseurs américains dont la réputation dans l’industrie du sport n’est plus à détailler, ce petit club sans grande histoire est devenue la terre d’accueil d’un des projets les plus ambitieux de ces dernières années dans le monde du football. Coup d’œil.
On connaissait la diaspora américaine faisant des merveilles en Allemagne. Mais pourtant, à quelques encablures de la Buli, un autre phénomène similaire se passe dans le pays de Christian Eriksen et Yusuf Poulsen. Passé de la lumière à l’ombre en l’espace de deux ans, la faute à deux relégations consécutives, le petit club d’Helsingør à ces derniers mois repris un peu d’espoir. La ville portuaire danoise d’environ 61 000 habitants a vu son club rachetée par un groupe d’investisseurs américains, qui ont un projet en tête : faire d’Helsingør la plateforme européenne de développement des jeunes américains. Qui sont les hommes d’affaires ayant investis dans le projet ? Pourquoi avoir choisi le Danemark et plus particulièrement Helsingør ? Quel est l’avancée et l’avenir du projet ?
Après plusieurs semaines de rumeurs intenses, l’officialisation est tombée le 30 mars dernier. Jordan Gardner ainsi que quatre autres investisseurs américains ont racheté – contre près d’un million d’euros – 51 % des parts du petit club d’Helsingør, qui se bat alors pour sa survie en seconde division danoise. Si le club fut malheureusement bel et bien relégué à l’échelon inférieur, le projet ne fut pas pour autant entériné, au contraire. Mais qui sont ces investisseurs américains ? Qui est Jordan Gardner qui mène ce groupe de par son expérience dans ce domaine ?
Depuis toujours Jordan Gardner a baigné dans le monde du football, même aux Etats-Unis, à une époque où le soccer n’était pas encore aussi populaire qu’il l’est aujourd’hui. Alors que ce dernier possédait un projet solide du côté de San Francisco FC, franchise d’expansion de l’USL, il décide de tout abandonner pour se concentrer sur le marché européen. Déjà investisseur minoritaire de Swansea City et Dundalk FC, vainqueur de cinq des six derniers championnats irlandais, l’homme d’affaire américain a longtemps pensé à l’emplacement de son nouvel investissement pour y implanter son ambitieux projet…
Pour mener à bien cette aventure, Jordan Gardner s’est entouré de plusieurs investisseurs du pays de l’Oncle Sam réputés outre-Atlantique tels que Michael de Anda, John Burbank, Harry Tsao et Nick Swinmurn, le dernier étant co-propriétaire des Burlingame Dragons (équipe U23 des San José Earthquakes) avec Jordan Gardner. Ces derniers possèdent tous des parts minoritaires de la franchise américaine de basket des Golden State Warriors. Enfin, s’ils ne sont pas investisseurs, Brett Johnson et Taylor Reinhardt font également partis du projet, et pourront apporter toute l’expérience obtenue lors de leurs investissements chez les Phoenix Rising FC.
Ainsi, si les investisseurs ont de quoi impressionner de par leurs expériences et précédents investissements, quels facteurs les a menés à cette petite ville sans histoire située au nord du Danemark ?
Helsingør est une ville portuaire de quelque soixante mille âmes situé au nord du Danemark, à cinquante kilomètres de la capitale, Copenhague. La ville fait face à sa jumelle et quasi-homonyme suédoise, Helsingborg. Les deux villes ne se situent qu’à neuf kilomètres l’une de l’autre, séparée uniquement par le Détroit de l’Oresund, un pont reliant même les deux villes.
En ce qui concerne le Helsingør FC, son histoire est relativement récente, et le plus beau reste sans aucun doute à écrire. Fondé en 2005 de la fusion des cinq clubs que possédait la ville, Helsingør alternait entre deuxième et troisième division pendant plus d’une décennie avant de réaliser l’exploit en 2017 de venir à bout de Viborg en barrage de promotion de deuxième division afin de décrocher la première promotion de son histoire en Superligaen, l’élite du football danois. Le club n’a toutefois pas le niveau et redescend immédiatement après une saison cauchemardesque. Une saison cauchemardesque qui en entraîna une autre avec une surprenante relégation en troisième division en mai dernier, quelques mois après le rachat du club.
Ainsi, pourquoi Jordan Gardner et son équipe ont jeté leur dévolu sur le Danemark et Helsingør ? Tout d’abord, le Danemark est un pays anglophone, facilitant ainsi l’adaptation qui pourrait être compliquée pour les jeunes joueurs, qui de plus est sur un nouveau continent. Mais le facteur clé ayant fait pencher la balance est sans aucun doute les restrictions. Au Danemark, il n’existe aucune restriction concernant le nombre d’extra-communautaire ou même concernant le nombre d’étrangers sur la feuille de match. Dans les années à venir, Helsingør pourrait ainsi aligner un onze de départ 100 % américain (même si Jordan Gardner a affirmé que cela n’était pas le but et que cela n’arriverait pas) en toute légalité.
Enfin, le Danemark est également réputé pour être l’un des championnats les plus jeunes en Europe (24.7 ans de moyenne d’âge) permettant ainsi de l’exposition pour les jeunes joueurs aux nombreux recruteurs se déplaçant chaque week-end.
Le choix du Danemark s’est ainsi fait assez naturellement, tout comme le choix d’Helsingør finalement. Le club inaugurait son nouveau stade cet été, mettant à jour des infrastructures de formation et d’entraînement « très bonnes » selon Jordan Gardner lui-même, qui a souligné le manque de professionnalisme chez certaines autres équipes danoises, même en Superligaen.
« Helsingør possède de très bonnes infrastructures. Nous avons regardé du côté des clubs de Superligaen ou même plus généralement en Scandinavie, et certain clubs ne possédaient même pas d’employés à temps plein. Pour certains d’entre eux, les infrastructures du stade étaient rudimentaires, d’autres n’avaient pas d’académies… »Jordan Gardner, nouvel actionnaire majoritaire d’Helsingor FC
Le projet de Jordan Gardner à Helsingør est donc très ambitieux et prometteur. Le but étant de recruter des jeunes américains ou canadiens à moindre coût afin de leur permettre de se développer en Europe avant de les revendre à de meilleurs clubs ou dans de meilleurs championnats. Ce projet semble ainsi avoir tout pour réussir étant donné la faible chance donnée aux jeunes américains en MLS, même si cette tendance tend peu à peu à s’inverser.
« Près de 55 % des joueurs de MLS sont des étrangers désormais. Les franchises achètent beaucoup de sud-américains, et c’est une bonne chose pour la ligue, mais l’opportunité pour les jeunes Américains d’obtenir du temps de jeu en équipe première devient de plus en plus limitée. » Jordan Gardner
À l’heure actuelle, 49 % des joueurs de MLS ne sont ni Américains, ni Canadiens selon Transfermarkt. Une statistique qui explique notamment le faible développement de l’équipe nationale américaine, qui a notamment échouée à se qualifier pour la dernière Coupe du Monde en Russie. Alors que la qualité de la MLS, elle, ne cesse d’augmenter, il devient difficile pour les jeunes US d’obtenir du temps de jeu en équipe première, les clubs préférant investir dans de jeunes talents sud-américains.
« Nous sentons que ces joueurs ont tout pour réussir en Europe. Ils ont juste besoin d’être dans un bon environnement pendant encore quelques années. » Jordan Gardner à propos de Kembo Kibato et Kunle Dada-Luke
Cet été marquait le premier mercato d’Helsingor depuis son rachat. Un été qui a vu l’arrivée, comme le veut le projet, de plusieurs jeunes nord-américains, notamment deux jeunes espoirs de l’académie de Toronto FC. Le premier d’entre eux, Kembo Kibato, jeune milieu offensif de dix-huit ans est décrit par son ancien entraîneur comme un joueur technique mais manquant toutefois d’efficacité, se demandant s’il avait le physique pour évoluer en professionnel. Ce à quoi Jordan Gardner aime répondre par l’optimisme : « Peu importe le talent qu’ils ont. S’ils ne jouent pas, ils ne se développeront pas. »
A découvrir : Ces joueurs de MLS qui ont réussis en Europe (Partie 2)
Pour aider à la progression des jeunes, le staff d’Helsingør a par ailleurs mis en place un plan de développement personnalisé pour chaque joueur. Kembo Kibato ne viendra pas seul, son coéquipier de l’académie de Toronto Kunle Dada-Luke, jeune ailier droit de dix-neuf ans ayant lui aussi quitté le Canada pour la petite ville côtière danoise, facilitant à coup sûr l’acclimatation.
« J’apprécie beaucoup la ville, les gens et le fait de pouvoir jouer au football. Je veux juste prouver à tout le monde que je mérite ma place ici. »Kembo Kibato
Au milieu de toute cette jeunesse, Jordan Gardner et ses recruteurs ont également pensé à apporter de l’expérience afin d’encadrer les plus jeunes, et ont trouvé le profil parfait en la personne de Chris Cortez. Cet attaquant de 31 ans, qui sort d’une expérience en Thaïlande, avait marqué les esprits en USL 2018 en inscrivant dix-sept buts en trente rencontres sous les couleurs de l’Arizona United.
Si le projet de Jordan Gardner à tout pour réussir, la récente éclosion de la Canadian Super League, championnat national canadien dont la première édition a eu lieu cette année, pourrait bien compliquer certaines transactions. Les restrictions mis en place par la Ligue sont en effet parfaites pour le développement des jeunes joueurs canadiens. Chaque équipe doit avoir au moins six Canadiens dans le onze de départ et trois de ces six joueurs doivent être âgés de moins de 21 ans et jouer au moins 1000 minutes par saison. Enfin, chaque équipe ne peut compter que six étrangers dans son équipe première.
Ainsi, si cela n’impacte pas les joueurs américains, leurs homologues du pays de Justin Trudeau pourraient quant à eux préférer poursuivre leur développement en équipe première dans leur pays natal, d’autant plus que le champion est qualifié pour la CONCACAF Champions League, qui permet non seulement de gagner de l’expérience mais également d’être très fortement médiatisé à travers le continent.
Ainsi, le projet de Jordan Gardner à Helsingør est prometteur et il faudra suivre de près cette équipe qui domine déjà largement la troisième division danoise (leader avec cinquante-et-un buts marqués en seize rencontres). Le Danemark semble être le lieu parfait pour les jeunes talents venus des États-Unis qui pourraient ainsi se développer dans des vraies équipes et de vrais championnats plutôt que dans les réserves de clubs. Des lieux où il n’y a pas réellement de pression, de soutien du public ou encore de médiatisation.
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