God Save The Foot
·20 juin 2021
God Save The Foot
·20 juin 2021
Son nom ne vous disait peut-être pas grand-chose il y a de ça quelques jours, mais depuis son but face à la Nati de Vladimir Petkovic, Kieffer Moore est devenu l’un de ces joueurs que l’on a tous envie de suivre pour son côté besogneux. Mais avant ce coup de tête rageur survenu à la 74ème minute, le numéro 13 gallois a connu bien des péripéties.
Kieffer Roberto Francisco Moore de son vrai (long) prénom, est né le 8 août 1992 à Torquay, dans le sud-ouest de l’Angleterre. C’est dans cette même ville que le jeune Moore aura son premier rapport avec le ballon rond, dans le petit club de Torquay United. Mais, alors âgé de 12 ans, il sera contraint de quitter le club, puisque celui-ci a décidé d’abandonner son programme pour les jeunes.
C’est alors que l’aventure commence pour l’actuel buteur des Dragons. Ses 47 buts en 43 matchs chez les Paignton Saints (division sud de la ligue du Devon) lui permettent de se faire remarquer pour la première fois. Un sens du but étonnant se dégage de Moore, ce qui le fait signer pour Truro City. De nouveau, Moore se distingue des autres joueurs, cette fois-ci par le biais d’une série de 7 buts en… 7 matchs.
Mais la suite est tout sauf un long fleuve tranquille pour le buteur anglais. Le 11 février 2013, le jeune Kieffer signe un contrat de 18 mois à Dorchester Town, toujours en Conference Sud (D6/ANG). Avec 20 buts au compteur, il se classera quatrième au rang des meilleurs buteurs du championnat, et ce malgré une blessure à la cuisse. Assez, assez pour le club de Charlton Athletic qui lui propose un essai en mai 2013, malheureusement pas concluant. En parallèle du foot, Moore est sauveteur de baignade… Mais pas que. Il est également coach sportif. Pas étonnant quand on connaît son gabarit. Âgé de 20 ans à cette époque, Kieffer Moore dépasse déjà le mètre quatre-vingt-dix. Ce qui lui permet par ailleurs d’être une réelle menace dans les airs, les Suisses en témoigneront.
Après une petite pige en Norvège, au Tippeligaen Viking, Kieffer Moore vagabonde entre les clubs de Forest Green Rovers, Torquay United ou encore Ipswich Town. Sans oublier un prêt d’un an à Rotherham United, qui s’avérera être le vrai tournant de sa carrière. Auteur de 13 buts cette saison-là, il réussit à inscrire le but égalisateur des siens (décidément) face aux rivaux de Rotherham, les Doncaster Rovers à la 96e minute. Idéal pour conclure une saison pleine de sa part.
Désormais âgé de 25 ans, le temps ne joue pas en sa faveur, et il le sait. Le 8 janvier 2018, Moore fait ses valises pour Barnsley, en League One. Là-bas, il y joue son meilleur football, au meilleur des moments. Il devient le chouchou des supporters, et est l’un des premiers noms cochés sur la feuille de match par ses entraîneurs Paul Heckingbottom et Gary Rowett. 31 matchs joués et 17 buts plus tard, Moore est l’un des meilleurs attaquants du championnat. Hélas, on ne peut évoquer la carrière de l’actuel international gallois sans parler de cette collision aérienne – survenue le 9 février 2019 – avec le défenseur de Gillingham Gabriel Zakuani – qui laissera des traces et marquera la carrière de Moore. L’anglais, touché, reste au sol pendant une dizaine de minutes.
J’avais du sang qui coulait partout sur mes oreilles. Je me suis fracturé l’os temporal et eu une mauvaise commotion cérébrale.
En effet, la blessure de Kieffer Moore est très similaire à celle qu’a connue Ryan Mason, ancien joueur de Hull City qui avait dû arrêter sa carrière.
Cette blessure m’a fait ouvrir les yeux sur beaucoup d’aspects, mais je continuerai toujours à tout donner pour l’écusson pour lequel je joue.
Il sera amené à l’hôpital le plus proche, avant d’apprendre que sa saison était bel et bien terminée. Malgré tout, Moore est nommé dans l’équipe PFA de l’année en League One, récompense amplement méritée pour celui qui allait rejoindre Wigan quelques mois plus tard.
Mais c’est à Cardiff City que Kieffer Moore va prendre une tout autre dimension. Nous sommes en août 2020, et lui qui a connu un parcours si chaotique a enfin trouvé refuge, cette fois-ci au Pays de Galles. Un hasard ? Oui et non. Son grand-père est originaire de Llanrug dans le nord-ouest du pays du Dragon. Ce qui le rend donc éligible à la sélection galloise, comme un signe d’un début d’une belle histoire avec ce pays.
Ce n’est pas tout, l’arrière-grand-père de l’Anglais est lui originaire de Guangdong, en Chine. En sachant ça, Kieffer Moore s’est de plus en plus intéressé à la sélection chinoise, jusqu’à même prendre un billet d’avion vers Pékin à l’été 2019 ! L’intérêt ? Devenir l’attaquant phare de la Chine, pays où de nombreux clubs (Beijing Guoan et Jiangsu Suning notamment) avaient déjà exprimé un désir de le recruter par le passé. Malheureusement pour les Chinois, les racines de Moore sont bien trop lointaines pour qu’elles le rendent éligible aux règles de l’UEFA. Et c’est en septembre de la même année que l’actuel numéro 13 du Pays de Galles fera ses débuts avec les Dragons.
L’attaquant enfin rentré de son périple, réussit à inscrire 20 buts en 42 matchs de championnat sous les ordres de Mick McCarthy. Les Bluebirds ne parviendront pas à se qualifier pour les playoffs d’accession, finissant la saison à la 8ème place. Sur le plan individuel, c’est une saison plus que réussie pour Moore. Mais le chemin est encore long pour celui qui a choisi le Pays de Galles comme sélection, et non pas son pays de naissance, l’Angleterre.
C’est donc sans surprise que le Bluebird est sélectionné dans la liste de Robert Page. Bien aidé par les histoires de violences conjugales à l’encontre de Ryan Giggs, Robert Page ne s’attendait probablement pas à un tel retournement de situation. Passant de simple entraîneur adjoint à chef d’orchestre d’une nation, il pourra néanmoins compter sur les leaders que sont Gareth Bale, Aaron Ramsey ou encore Joe Allen.
Mais au-delà de ce noyau fort qui était présent lors de l’épopée en 2016, c’est une nouvelle génération ambitieuse qui veut montrer les crocs. Parmi eux, Harry Wilson (24 ans), Daniel James (23 ans), Chris Mepham (23 ans) mais aussi Kieffer Moore, qui malgré ses 28 ans n’a toujours pas atteint la barre des 20 capes.
En pleine force de l’âge, l’enfant de Torquay a la possibilité de s’épanouir lors de cet Euro 2020. Dans une équipe qui privilégie les contre-attaques rapides plutôt que les attaques placées, le profil de Kieffer Moore correspond parfaitement à un rôle de point de fixation, ce qui laisserait des espaces aux ailiers pour attaquer la profondeur. Grand sans être lent, bon à la tête et intelligent dans ses déplacements, Moore se détache des autres attaquants de l’équipe.
En réalité, Robert Page prend souvent le pari d’utiliser des ailiers en rôle de faux n°9. Des joueurs comme David Brooks, Harry Wilson et même Gareth Bale ont tous déjà joué à ce poste, souvent dans une formation ressemblant à un 3-4-3. Les supporters des Dragons le savent, les Gallois ne partent pas favoris et devront être clinique devant les cages s’ils veulent avoir une chance. Cela s’explique surtout par un groupe coriace, composé de l’Italie de Mancini, de la Turquie de Yilmaz et de la Suisse de Shaqiri. Cette dernière nation qui, comme un symbole, a fait connaissance avec le sérial buteur de Cardiff.
Portés par un Breel Embolo de gala, les hommes de Petkovic pensaient débuter leur compétition de la meilleure des façons. Dominatrice pendant la majeure partie du match (64% de possession), la Suisse et ses 18 tirs s’est vue remonter au score par l’intermédiaire de Kieffer Moore. L’insaisissable attaquant des Bluebirds – préféré à Harry Wilson – a inscrit le but égalisateur à la 74ème minute. Sur un très bon centre de Joe Morrell, Moore s’efface du marquage pour aller trouver les fonds du filet de Yann Sommer. À l’arrivée, un nul 1-1 et un point de pris pour les Gallois. On se dit alors que tout est possible pour la bande à Page.
Une impression confirmée quelques jours plus tard, toujours à Bakou, où dans une atmosphère étouffante, le Pays de Galles s’impose contre la Turquie (2-0) en sortant une prestation héroïque. Avant d’affronter l’Italie ce dimanche soir, à Rome, les Gallois sont en excellente posture pour finir à la deuxième place de la poule A. Presque impensable il y a encore quelques semaines. Et forcément, Kieffer Moore n’est pas étranger à cette réussite.
Il n’apporte pas seulement une présence devant, c’est bien plus que cela. Il a une bonne touche de balle pour sa taille (1m95) et il travaille énormément, avec des courses importantes. Il m’impressionne à chaque fois qu’il porte le maillot du Pays de Galles. Robert Page, sélectionneur du Pays de Galles
Dans son style peu académique et avec son bandage rouge écarlate sur la tête, le buteur de Cardiff aura d’ores et déjà répondu présent sur le terrain. Grâce à ce but salvateur intervenu dans le dernier quart d’heure, on ne peut qu’imaginer une place confortable dans le onze de départ de Rob Page. Inimaginable pour l’ancien surveillant de baignade, obligé de travailler en parallèle de ses matchs avec Truro City. Lui qui aura connu des dizaines de clubs, des échecs, des blessures, représente aujourd’hui une source d’inspiration pour des milliers de Gallois.