Le Corner
·26 juillet 2020
Le Corner
·26 juillet 2020
En 2002, 113 ans d’histoire s’effondrent. L’English Football League (EFL) et la Football Association (FA) valident la relocalisation du Wimbledon FC à Milton Keynes, 100 kilomètres plus au nord. C’est la douche froide pour les supporters. Ce club a tout connu, de l’amateurisme au professionnalisme en passant par le Crazy Gang. Malgré leur haine envers les dirigeants qui ont accepté cette relocalisation, ils ne se laissent pas abattre et créent de toute pièce l’AFC Wimbledon. Repartant de la neuvième division, le club est aujourd’hui professionnel et évolue en troisième division, montrant ainsi que lorsqu’un enfant est arraché à sa communauté, son cœur reste et l’amour le fait renaître de ses cendres. Récit d’une des histoires les plus singulières du football anglais.
Fondé en 1889, le Wimbledon FC se fait d’abord appeler le Wimbledon Old Central Football Club. Ses créateurs sont d’anciens élèves de la Central Old School de Wimbledon d’où son nom. Rapidement, les élèves deviennent des professeurs sur le terrain et un peu d’egotrip ne faisant pas de mal, leur premier sobriquet parait logique : The Dons (les professeurs/parrains d’Université). En réalité, ce surnom provient probablement uniquement du suffixe « don » de Wimbledon.
En 1905, le club retire le « Old Central » de son appellation pour devenir Wimbledon FC. Leurs premiers ballons sont tapés au niveau amateur et le « non-league football » est leur credo. Les premiers titres arrivent quant à eux dans les années 1930, avec deux titres consécutifs en 1930-1931 et 1931-1932. Les Dons jouent alors en Isthmian League, septième échelon du football anglais regroupant la région londonienne ainsi que le Sud-Est du pays. Sur les saisons 1934-1935 et 1935-1936, deux nouveaux titres viennent garnir l’armoire à trophées. Après un autre titre sur la saison 1958-1959, les années 1960 sont une période charnière dans l’histoire du club. A cet égard, les Dons remportent trois championnats d’affilée en 1962, 1963 et 1964, mais surtout la FA Cup amateur en 1963, leur premier gros coup d’éclat. A force d’enchaîner les titres, la réflexion poursuit son bonhomme de chemin. Lors de la saison 1964-1965, le club décide de se professionnaliser. Ce n’est pas pour autant qu’il quitte les échelons amateurs, mais il rejoint la Southern Football League qui équivaut elle aussi au septième échelon anglais. Près de douze ans plus tard, en 1977, c’est la consécration. Après trois titres consécutifs, Wimbledon obtient son statut de club professionnel et intègre la quatrième division anglaise.
L’équipe est alors très jeune et ne pense qu’à faire crétineries et idioties tandis que le coach Dario Gradi essaye sans succès de serrer les boulons. Il faut dire qu’il n’est pas vraiment aidé par son adjoint Dave Bassett, qui est lui aussi quelque peu loufoque et couvre les bêtises de ses joueurs. En 1981, l’homme d’affaire libanais Sam Hammam, qui a fait fortune au Moyen-Orient, rachète entièrement le club après avoir tenté de racheter Chelsea. Dario Gradi s’en va à Crystal Palace et Dave Bassett devient l’entraîneur principal. La folie peut commencer !
Dave Bassett réunit une véritable équipe de de choc avec un noyau dur composé de Dennis Wise, Mick Harford, Wally Jones, Lawrie Sanchez, John Fashanu et le légendaire Vinnie Jones. D’un point de vue tactique, c’est simple, le coach veut voir le plus souvent possible le ballon dans la surface de réparation adverse et surtout, il veut apercevoir la peur dans les yeux des joueurs adverses. Kick and rush, tacles assassins et insultes, voilà comment Wimbledon a pu accéder à la première division en 1986.
Se déplacer à Plough Lane n’est pas une mince affaire. Les joueurs adverses prient pour repartir vivants. Arrivés au stade, ces derniers ont devant eux un vestiaire saccagé avec toilettes bouchées et douches cassées. Rapidement, ils peuvent entendre les Dons gueuler et se taper le crâne contre les portes des vestiaires et des couloirs du stade pour les déstabiliser. Dans le tunnel menant à la pelouse, chaque joueur de Wimbledon défie un joueur adverse d’un regard qui vous ferait trembler les jambes. A l’échauffement d’avant match, Dave Bassett demande à ses joueurs de courir les bras levés en criant « Power ! » pour déstabiliser encore plus leurs malheureux adversaires. Sur le terrain, Vinnie Jones fait de Paul Gascoigne sa victime préférée. Outre la célèbre photo le montrant en train d’empoigner les testicules de Gazza, un jour il s’approcha de lui et lui dit : « Je m’appelle Vinnie Jones, je suis un gitan, je gagne beaucoup de fric et je vais t’arracher l’oreille avec les dents puis tout recracher dans l’herbe. Tu es seul mon gros, tout seul avec moi ! ».
Effectivement Plough Lane peut s’apparenter à un asile de fous ! En dehors du terrain ce « fighting spirit » (à ce niveau c’est plus que ça) n’est jamais très loin. Comme le racontait l’ancien joueur gallois et actuel entraîneur de l’AFC Wimbledon Glyn Hodges : « Dave Bassett nous encourageait clairement à nous battre. Ça pouvait être dans un pub, en déplacement, à l’entraînement, n’importe où. ». Grâce à ces techniques peu orthodoxes qui ne font évidemment pas l’unanimité, l’équipe la plus détestée de l’époque s’inscrit dans la durée au sein de l’élite du football anglais avec comme point d’orgue une FA Cup remportée 1-0 face à Liverpool en 1988 grâce à un but de Lawrie Sanchez.
Les années 1990 marquent la fin du Crazy Gang. Peu à peu, les joueurs quittent le navire, période coïncidant avec le départ de Dave Bassett un an avant cette victoire en FA Cup. En 1989, Vinnie Jones part pour Leeds, Dennis Wise à Chelsea en 1990, et le successeur de Bassett, Bobby Gould, s’envole pour West Bromwich Albion la même année. En 1991, c’est le coup de grâce. À la suite du drame de Hillsborough en 1989, les stades anglais sont rénovés pour plus de sécurité. Le Wimbledon FC est donc obligé de quitter Plough Lane, citadelle des Dons depuis 1912. Le club partage ainsi Selhurst Park avec Crystal Palace jusqu’en 2003. Plough Lane est finalement démoli en 2000. Peu à peu, le club coule financièrement et lors de la saison 1999-2000, c’est la relégation. Le propriétaire Sam Hammam revend toutes ses parts du club. Les nouveaux propriétaires, dont Charles Koppell – qui n’est jamais allé à un match de football avant de posséder le club – ne sont pas bien accueillis par les supporters. Les acquéreurs expriment tout de suite leur souhait de trouver un nouveau stade pour plus de stabilité économique quitte à changer de ville. Dans les années 1990, cette idée avait déjà été exprimée. On évoquait alors Blackpool, Cardiff ou même Dublin. Finalement c’est Milton Keynes qui est choisi grâce ou à cause de l’influence du producteur de musique Pete Winkleman. Il est à ce moment-là directeur général d’Inter MK chargé de développer un quartier du nord de la ville avec un magasin IKEA, un supermarché, un hôtel et un stade de foot. Après avoir construit le Stadium MK, il s’agissait de trouver un club. Milton Keynes est alors la plus grande ville d’Angleterre sans club professionnel. Plusieurs pistes sont explorées, mais c’est finalement le Wimbledon FC qui est choisi. A l’été 2001, les propriétaires actent la relocalisation qui est validée par la FA et l’EFL en 2002. Le club déménage officiellement en septembre 2003 et le Wimbledon FC disparait en 2004. En 2004, le club devient officiellement le Milton Keynes Dons Football Club et accapare l’héritage du Wimbledon FC.
Remontés comme des coucous, les fans n’attendent pas la disparition totale de leur club pour créer le leur. En 2002 naît le AFC Wimbledon, après quelques pintes dans le pub Fox and Grapes, le même qui a vu les anciens élèves de la Central Old School fonder le Wimbledon FC. Six semaines de procédures administratives et de détections plus tard, le phénix renaît de ses cendres grâce à la pugnacité et à l’amour de ses fans. A leurs débuts en neuvième division, les nouveaux Dons partagent leur stade avec le Kingstonian FC : le Kingsmeadow. Pour leur premier match amical à domicile, c’est plus de 4000 supporters qui viennent les voir jouer contre Sutton United. Malgré une défaite 4-0, l’ambiance est au rendez-vous, chaque supporter étant heureux de retrouver son club. Lors de leur première saison en Combined Counties Premier Division (D9), Wimbledon loupe la promotion de peu en terminant 3ème. La saison suivante est la bonne, et le club termine premier sans encombre, remportant 42 de ses 46 matchs et en ne concédant aucune défaite. L’année qui suit, ils sont de nouveau promus en remportant la deuxième division de l’Isthmian Football League. En terminant 4ème la saison d’après, le club accède aux barrages mais perd en demi-finale. Rebelote pour la saison 2006-2007 en ayant terminé 5ème. Lors de l’exercice 2007-2008, ils terminent 3ème et remportent cette fois-ci les barrages pour accéder à la Conference South (D6), qu’ils gagnent tout de suite. C’est lors de la saison 2010-2011 que Wimbledon arrive à s’extirper de la National League en finissant 2ème et gagnant aux penalties les barrages pour enfin accéder à la League Two, premier échelon professionnel. Chaque saison, ils luttent pour le maintient jusqu’en 2016, où au terme de barrages compliqués qui se terminent par une victoire 2-0 à Wembley face à Plymouth Argyle, les Dons accèdent enfin à la League One.
Après avoir connu l’amateurisme, Wimbledon et son Crazy Gang ont aimé être détestés. Après une période difficile, l’amour de ses supporters a fait renaître l’âme d’un club. Grâce à ce soutien populaire et à une gestion qui donne la priorité à l’aspect sportif, l’AFC Wimbledon connaît 6 montées en 13 ans et se maintien aujourd’hui en troisième division, dans laquelle joue aussi Milton Keynes. Dans le milieu des années 2000, Pete Winkleman restitue finalement tous les trophées remportés par le Wimbledon FC ainsi que le patrimoine du club au conseil du quartier Merlin de Wimbledon. Un nouveau stade devrait être construit sur les ruines de Plough Lane dans le courant de la saison 2020-2021. L’AFC Wimbledon est un club à part. Il est aujourd’hui encore détenu à 77% par ses supporters à travers The Dons Trust, proposant ainsi un modèle de gestion peu mis en avant, vue comme une alternative au « foot business ». Comme disait l’ancienne gloire du club John Scales : « Ce sont les mêmes fans qui venaient nous soutenir à l’époque. La communauté, c’est ça le football. Les joueurs, eux, ont une carrière limitée dans le temps. »
Crédit photos : IconSport
Sources :
– https://www.youtube.com/watch?v=Anu0yyrhQzs
– https://www.youtube.com/watch?v=SpwQtdI6SC8&t=289s
– https://www.sofoot.com/wimbledon-la-veritable-histoire-du-crazy-gang-481287.html
– https://www.theguardian.com/football/2004/jun/21/newsstory.mkdons
– https://www.theguardian.com/football/2002/jul/14/sport.comment
– https://www.telegraph.co.uk/sport/2405494/Wimbledon-go-into-administration.html
– https://www.expressandstar.com/sport/uk-sports/2019/01/27/a-brief-history-of-afc-wimbledon/
Direct