BeFootball
·13 janvier 2024
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Souriant, ouvert et dingue de ballon rond, Sikou Niakaté aurait pu s’éterniser jusqu’au petit matin dans cette discussion à nos côtés. À la question : “J’aime bien parler football, est-ce que ça se ressent ?”, nous ne pouvons qu’apporter une réponse positive, tant ses mots transpirent l’épanouissement et la passion. Dans la bouche de nos autres interlocuteurs, les adjectifs s’enchaînaient pour décrire le défenseur : “Une bonne personne”, “Généreux”, “Altruiste”, “force de caractère”, et surtout “revanchard”.
Une histoire de revanche, car malgré cette fièvre, le Malien, patron de la charnière défensive de Braga, a pris du temps à monter sur le devant de la scène, contre toute attente. “Je peux tout vivre aujourd’hui. J’ai joué le maintien pendant tout le début de ma carrière, aujourd’hui, je joue la Ligue des champions, le championnat portugais, les premières places…”, se réjouit Sikou Niakaté. Le premier joueur de l’histoire d’un club amateur à être appelé en équipe de France (17 ans) n’a connu l’élite française que cinq ans après ses débuts professionnels. Un chemin sinueux.
Sikou Niakaté a passé son enfance le ballon aux pieds, à Saint-Germain-en-Laye. Naturellement, il se tourne vers le PSG et sa préformation pour tâter le cuire de manière plus sérieuse, aux côtés de certains Mathéo Guendouzi, Boubakary Soumaré, Moussa Diaby ou encore Dan Axel Zagadou. Il apprend tactiquement, techniquement, et à 14 ans, il commence à sentir le vent tourner. “Tous mes amis signent en centre de formation, sauf moi”, explique le défenseur, qui avait eu le déclic. “J’avais vite compris que sans signature au centre de formation, il fallait partir.”
Prêt à tout, il parcourt vingt bornes chaque jour pour évoluer à l’ACBB, pendant deux ans. Arrivé à Évreux, il prend enfin le rôle principal, et son passage est un “véritable tremplin » vers le monde professionnel. “C’était une des meilleurs équipes amateurs de tous les temps” se remémore Ray Sepeynith, ami proche de Sikou, avec qui il partageait la charnière centrale cette saison-là. Les gens d’Évreux en sont encore admiratifs.” Un an lui suffit chez les U17 nationaux pour être un cadre, et attirer les convoitises, en plus d’être appelé à Clairefontaine.
Habitué au maintien, lancé dans l’élite par Antonetti
Valenciennes s’attache ses services. D’un premier contrat stagiaire, il signe quelques mois plus tard en professionnel, après avoir fait bonne impression auprès de Faruk Hadzibegic. “Avec des contacts et de l’envie”, c’est ainsi qu’il s’impose dans le groupe professionnel. Bluffé par la volonté du garçon, le technicien le lance à la mi-temps d’un match de Ligue 2, face au Nîmes Olympique de Téji Savanier et d’Umut Bozok. “J’avais la pression. Je revois mes jambes trembler lorsqu’on me dit d’accélérer mon échauffement, mais ça m’a libéré d’un poids incroyable. J’ai apporté un vent de fraîcheur dans l’équipe par la suite” rejoue Sikou Niakaté. Il ne sortira plus du XI.
Deux saisons pleines (49 rencontres) sont passées, et Sikou Niakaté rêve de l’élite. Son transfert à Guingamp en hiver tarde. Il y signera six mois plus tard, une fois que les Bretons sont relégués au deuxième échelon. Dans un autre club, sa situation reste la même. Pire, l’EAG joue le maintien la saison suivante. “En signant là-bas, il signe pour être en Ligue 1. Il commençait à prendre du retard”, estimait Ray.
Une période qui tranche avec la vitesse avec laquelle il a monté les échelons, d’Évreux à l’équipe de France, puis chez les professionnels au VAFC. Le fait de faire deux saisons en Ligue 2, ça paraissait comme un retard. C’est l’expérience la plus négative, car c’est là où il a manqué le plus de temps de jeu. Par contre, c’était la plus intéressante pour fortifier son travail”. L’attente se fait longue dans l’antichambre de l’élite, en Bretagne, et de nouveau à Valenciennes, où il est prêté d’entrée. Après deux ans, l’opportunité se présente enfin, en deux temps.
Alors que “tout était fait” pour un départ à Anderlecht, Sikou Niakaté vit un transfert avorté. Il touchera finalement du doigt son but, en trouvant refuge en Moselle, prêté à Metz. Ce passage laissera une marque indélébile sur l’homme qu’il est aujourd’hui. “Sur le terrain, je suis complètement différent,. Je peux m’énerver pour rien, et je suis très bavard. Cela vient de Frédéric Antonetti d’ailleurs. À l’entraînement, il aimait le bruit, les contacts”. Hormis sa robustesse, Sikou a franchi une étape de plus, celle de joueur en Ligue 1, histoire de se professionnaliser un peu plus.
Sikou Niakaté, sous les couleurs du FC Metz, pour sa première saison en Ligue 1. © Icon Sport
“C’est quelqu’un de vivant, qui a toujours le sourire, mais c’est surtout un travailleur et un grand professionnel. Il est toujours à fond dans ce qu’il entreprend”, se souvient Amine Bassi, ex-coéquipier du Malien à Metz (2021-2023). La motivation n’aura pas suffi à disputer plus de douze rencontres dans l’élite, et Metz se retrouve relégué. Sikou Niakaté relativise : “Avec Antonetti, c’était spécial, il me réveillait quand ça n’allait pas, et il connaît vraiment le football. Il y a des faits dans sa vie qui font qu’il n’a pas très bien géré à Metz. Nous aurions pu faire une saison incroyable. C’est un plus de travailler avec quelqu’un qui a plus de 33 ans d’expériences.”
O futuro começa aqui
Malgré la déception, Sikou Niakaté, de retour à Guingamp, attire l’intérêt de Braga, qui lui fait les yeux doux. “J’avais remarqué leur dernière campagne d’Europa League (quart de finale), et j’avais assez aimé leur parcours. Cette équipe était jeune, et je me suis dit que ça allait être intéressant. Je ne pouvais pas rester en Ligue 2, il fallait que j’avance.” Artur Jorge, le nouvel entraîneur, parle couramment français. Après une heure trente de discussion, il adhère vite au projet bracarien. “Un coach qui commence en équipe première, et qui prend le téléphone pour son premier transfert, je me suis dit qu’il fallait aller là-bas”. Sans regret, il fait ses valises pour le nord du Portugal.
« Affronter le grand Real Madrid, c’est un autre monde comparé à là où j’étais avant. »
De la Ligue 2, à une quinzaine de matchs de Ligue 1, il se retrouve à jouer trois fois par semaine. “Je découvre la vie, j’ai les yeux grands ouverts ici. Affronter le Benfica à l’Estádio da Luz, ou lors du derby face à Guimarães, c’est impressionnant. Jouer tous les trois jours, ce n’est pas facile. Mes habitudes, ma routine ont changé. » L’Europe aussi, Sikou Niakaté est allé à sa découverte, en Europa League l’an dernier, puis en Ligue des champions, cette année.
“Je vis pour ça, pour jouer contre les meilleurs joueurs. Quand tu es face à eux, tu veux faire le meilleur match.” Fan de Sergio Ramos et de Carles Puyol pour leur grinta, le défenseur du Mali a eu des étoiles dans les yeux au moment de fouler la pelouse du Santiago-Bernabéu, à 24 ans, face à son club de cœur. “Cela m’a galvanisé. Sincèrement, ce match-là, je l’ai abordé sans pression. Affronter le grand Real Madrid, c’est un autre monde comparé à là où j’étais avant. »
Une situation qui rend fier ses proches, notamment Ray. “Sa saison à Metz aurait pu l’enterrer. Il aurait pu se dire qu’il n’avait pas le niveau de la Ligue 1. Ce qui a été un déclic, c’est que Braga a fait en sorte qu’il soit un élément clé. C’était important, car il est beaucoup dans l’affectif. Il est encore émerveillé par ce qu’il lui arrive, sa passion ne fait que grandir. Il touche son rêve chaque jour” s’enthousiasme celui qui est devenu conseiller sportif.
Si ce n’est pas lui qui gère ses intérêts, mais son entourage, les deux amis d’enfance gardent des liens forts. Le nombre ne fait pas la qualité, alors le défenseur reste auprès des siens. “J’ai une grande famille, et des responsabilités. Je suis redevable déjà. Mes gars ont toujours été là, ma famille aussi, donc ce sont les plus méritants qui sont dans ma vie”, explique-t-il. Je les ai tous invités au Bernabéu. Me voir jouer face au Real Madrid, ce sont des moments qu’ils n’oublieront pas.“
Lui aussi, surtout car sa montée en puissance lui a permis de retourner en sélection, la saison dernière. Son histoire avec le Mali avait pourtant mal débuté. “Je suis parti en sélection à 17 ans, pour Mali – Gabon (0-0, le 11 décembre 2017). Nous étions déjà éliminés, donc je m’attendais à jouer. Je n’ai aucune directive. Il ne me parle pas et ne me fait pas jouer, j’avais trop de questions dans ma tête en rentrant. L’occasion de jouer l’Euro U19 avec la France s’est ensuite présentée. Une participation qui lui attire les foudres de Mohamed Magassouba, sélectionneur à l’époque, le qualifiant de “traître”.
Cinq ans plus tard, Sikou fera son retour en sélection, appelé par son successeur, Éric Chelle. La légende malienne a tout de suite misé sur lui. “Il m’a motivé et expliqué son projet, auquel j’ai immédiatement adhéré. C’est quelqu’un qui s’inquiète pour les autres. Cette nouvelle génération, ce staff, la fédération malienne qui met tout en place, ça fait plaisir… Avant, c’était dur là-bas, dans les sélections africaines, ce n’était pas tout beau tout rose.”
Son aventure en Bleu pardonnée, la greffe prend bien. Il est titulaire lors de quatre des cinq derniers matchs du Mali depuis qu’Éric Chelle l’a rappelé. La CAN 2023 sera l’occasion de confirmer son statut, et ses ambitions. “Avec cet effectif, viser le dernier carré serait magnifique. Il faudra prendre ses responsabilités. Nous avons une bonne équipe qui est structurée, nous ne pouvons pas nous cacher derrière l’excuse de l’effectif.” Le rêve d’être pour la première fois en haut de l’Afrique est forcément dans ses pensées.
« Il faudra prendre ses responsabilités. Moi, je me vois gagner la CAN, aller au bout avec le Mali. »
“Le Mali ne l’a jamais gagné, et nous sommes très compétitifs. Moi, je me vois gagner la CAN, aller au bout avec le Mali. » Un tel accomplissement, ou de grosses prestations en Côte d’Ivoire – pour nuancer – lui permettraient de s’installer durablement en sélection. « Jouer pour toute une patrie, ça va lui donner des émotions. Ça pourrait lui donner une certaine place au pays, et augmenter sa volonté de faire les choses pour autrui, dixit Sepeynith. Il sera cadre tôt ou tard. » Ce qui est sûr, c’est que Sikou Niakaté l’est déjà à Braga (4e cette saison), où il a disputé 34 rencontres l’an passé.
Ce statut, il le doit aussi à sa relation avec son entraîneur, Artur Jorge, dont le soutien est inconditionnel. “Il habite en bas de chez moi, je ne savais même pas au départ. Après le match face à Naples (1-2), je fais une bonne prestation, mais on perd avec le but contre mon camp. Je n’étais pas bien, et il vient sonner à ma porte. Il ne m’avait pas pris à l’écart dans le vestiaire.” De là s’ensuit une longue discussion, puis le Portugais, s’en va à 1h du matin.
“En France, je ne sais pas si quelqu’un aurait fait ça. Il m’a dit de regarder où j’étais il y a un an, deux ans… De regarder le match que j’ai fait face à Victor Osimhen.” Comme lors de cette soirée d’hiver européen, Sikou Niakaté, pourrait recroiser le Nigérian dans cette CAN, en Côte d’Ivoire, cette fois sous les couleurs du Mali. Une énième occasion de jeter un coup d’œil dans le rétroviseur, et de constater la revanche qu’il a pris sur sa carrière, de ses débuts jusqu’à aujourd’hui.
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