God Save The Foot
·16 mai 2020
God Save The Foot
·16 mai 2020
Plus d’un demi-siècle avant que ne se dessine la pandémie du Coronavirus, un autre fléau viral s’est lui aussi immiscé dans la vie sportive. Tout autant pandémique, bien plus assassine, la grippe de Hong Kong (1968-1970) restera le facteur décisif de l’un des plus grands exploits de l’histoire du football anglais.
L’épidémie Covid-19 qui gangrène le monde nous rappelle à quel point la condition humaine est fragile. Pour nous, amoureux du sport, elle nous replonge également au souvenir d’un printemps 1969, dont les lignes écrites à l’encre éternelle resteront à jamais reines au panthéon du sport anglais. Cette année-là, la grippe de Hong-Kong, dont l’origine est attribuée au petit pays d’Asie éponyme, balaye la planète d’un impitoyable sort. Ce que l’historien à l’Université Libre de Bruxelles, Serge Jaumain, qualifiera de “première pandémie de l’ère moderne”, fera plus d’un million de victimes aux quatre coins du globe. C’est dans ce délicat contexte que le club de Swindon Town, une équipe de troisième division anglaise, se hisse pour la première fois de son histoire en finale d’un jeune trophée créé neuf années auparavant, la League Cup.
Torquay United, Bradford City, Blackpool, Coventry City, Derby County puis Burnley, tous s’inclinent face à des Robins (le surnom du club) alliant en un subtil équilibre rigueur défensive et efficacité offensive. Le 15 mars 1969, en finale, Swindon croise la route d’un Arsenal alors grandissime favori, mais décimé par la grippe de Hong-Kong. En son sein, huit joueurs de l’équipe première seront dans l’incapacité de chausser les crampons, et ce malgré le report d’une rencontre initialement prévue le 8 mars. Histoire et sport s’entremêlent alors, faisant s’effondrer toute logique sportive. Dans un Wembley incandescent, débordant de fans (98 189 garniront ce jour-là les tribunes), Swindon Town et Arsenal se neutralisent au terme des 90 premières minutes, sur une pelouse boueuse et imbibée par des semaines de forte pluie sur le royaume. Un partout au coup de sifflet final. Les prolongations débutent.
Mais la fatigue, tant physique que morale, se fait inévitablement sentir dans les rangs londoniens. Le virus a laissé une indélébile trace que les minutes n’ont pu effacer. À la 101e minute de jeu, sur un corner suivant une tête de Roger Smart déviée sur le poteau, un jeune ailier du nom de Donald Rogers profite d’un cafouillage dans la surface de réparation pour donner l’avantage aux Robins, avant de doubler la mise dans les dernières secondes de la partie. Nous jouons la 119e minute, et Rogers s’en va battre un portier Gunners délaissé par une défense restée aux avant-postes. 3-1. La messe est dite.
Arsenal, au palmarès alors vierge dans la compétition, échoue en finale pour la deuxième fois consécutive. Amers, les Gunners mettront en avant la malédiction venue d’Asie pour justifier la défaite. “Huit d’entre nous étaient malades et le terrain était détrempé, déclara peu après la rencontre le défenseur et futur capitaine d’Arsenal, Franck McLintock, avant d’ajouter: le match n’aurait pas dû avoir lieu”.
Moins compréhensive, la presse nationale opposera la performance des hommes de Bertie Mee avec celle des vainqueurs de Swindon, qualifiant les uns “d’indignes”, glorifiant les autres “de héros du football anglais”. Un demi-siècle plus tard, l’impact de la grippe de Hong Kong dans la victoire des Robins est entièrement admise. Mais qu’importe. Un beau David triompha d’un Goliath affaibli, dans une rencontre qui demeurera comme l’un des plus beaux exploits du football anglais.