Furia Liga
·22 octobre 2020
Furia Liga
·22 octobre 2020
Alors que l’Espagne affiche un nombre croissant d’infectés à la COVID-19, les différentes autorités locales continuent de se contredire au sujet des mesures à adopter. Le monde du sport est soumis aux consignes, tantôt nationales, tantôt régionales et parfois même européennes. C’est évidemment le cas du football.
« ¿Toros si, Futbol no? ». Par cette interrogation, les supporters du Xerez Deportivo pointent une première mesure illogique en Espagne. Le club andalou de Segunda B a autorisé les membres du Kolectivo Sur 91 à installer cette banderole dans son stade, avant le match contre Rota (1-0), évidemment devant un comité restreint. Ce groupe de supporters souhaitait faire le parallèle entre les autorisations accordées aux arènes de corrida et les dures limitations imposées aux stades de foot. Cet exemple andalou est flagrant. Le gouvernement autonome de la région autorise les arènes à être remplies à hauteur de 75% de leur capacité. Les stades, quant à eux, ne peuvent accueillir que 800 supporters lors des matchs amateurs.
Depuis la mort du général Franco et la fin de la dictature en 1975, les régions espagnoles ont progressivement gagné en autonomie. Pour poursuivre sur l’exemple de l’Andalousie, le roi Juan Carlos I a permis le droit à l’autogouvernement de la région en octobre 1981. Cette décision, commune aux autres régions, permet à l’Andalousie de disposer de ses propres institutions. Dans de nombreux domaines, tels que le sport ou l’éducation, les gouvernements autonomes peuvent agir à leur guise. S’il doit évidemment être en accord avec la Constitution espagnole, le pouvoir exécutif régional dispose d’une importante marge de manœuvre.
Cela permet aux autorités andalouses de régir la capacité d’accueil des événements sportifs et culturels locaux. Ainsi, le président andalou Juan Manuel Moreno peut décider du nombre maximum de spectateurs lors d’un spectacle de tauromachie. Sur son territoire, il peut également jauger l’accès aux supporters dans les stades des divisions non-professionnelles de foot. Actuellement, les arènes peuvent être quasiment pleines, au contraire des stades, où la présence du public est considérablement limitée.
C’est ce paradoxe que voulaient mettre en avant les supporters du club de Xerez. Pourquoi autoriser les amateurs de découpes d’oreilles à s’agglutiner dans une arène, quand les fans de foot ne peuvent entrer qu’à quelques centaines dans un stade pourtant bien plus grand ? En août dernier, les images d’une foule compacte dans l’arène de la Real Plaza de Toros de Santa María avaient choqué bien en dehors de l’Andalousie. Rafael García Garrido, l’un des membres éminents de la tauromachie, affirmait à El Periódico que « l’on ne devrait proposer aucun spectacle avant l’arrivée d’un vaccin ». Une voix dissonante dans le milieu qui craint rien de moins que la banqueroute.
S’il y en a un qui ne veut pas entendre parler de présence de public avant la mise à disposition d’un vaccin, c’est bien Javier Tebas. Le président de LaLiga, organisme en charge des clubs professionnels, refuse l’accès aux stades et ne semble pas près d’en démordre. Le résultat est sans appel : les équipes espagnoles jouent dans une enceinte vide, célébrant leurs buts en imaginant la réaction qu’auraient eue leurs supporters. Une situation pesante, donnant à certains joueurs l’impression d’être constamment à l’entraînement. Questionné à propos des transferts de l’Athletic Club, Iker Muniain avait affirmé avec nostalgie que la « meilleure recrue qu’ils pourraient avoir, c’est le retour du public à San Mamés ».
L’Athletic et la Real Sociedad sont sans aucun doute les équipes les plus impatientes de retrouver leurs supporters. Ces deux clubs basques attendent depuis avril dernier de pouvoir jouer la finale de la Copa Del Rey 2020, repoussée tant que les fans ne pourront pas y accéder. Le match tant attendu pourrait finalement se jouer le 4 avril prochain, soit quelques semaines avant la finale de l’édition… 2021.
Les équipes de Segunda B profitent des directives régionales, permettant de plus en plus souvent l’accueil d’un nombre restreint de supporters. Ainsi, le Deportivo de La Corogne a pu retrouver son public pour la première fois depuis sa relégation. Des retrouvailles permises par le gouvernement autonome de Galice. Mais ce pouvoir ne s’applique pas dans les divisions professionnelles, où Javier Tebas suit à la lettre les recommandations de Santé Publique Espagne. Membre de la Liga, le Celta de Vigo ne peut donc pas jouer devant son public, bien qu’étant une équipe de Galice.
En Liga, les diffuseurs TV devront encore compter sur les effets sonores tirés du jeu FIFA 21 pour créer une fausse ambiance dans les stades. Mais cette opération de tricherie pourrait ne plus être nécessaire dans les compétitions européennes. La Ligue des Champions ainsi que la Ligue Europa sont soumises à l’autorité de l’UEFA qui autorise les stades à combler au maximum 30% de leur capacité. L’organisme du football européen précise cependant que cette jauge doit être en accord avec la politique sanitaire en vigueur dans chaque région. Et en Espagne, ce sont les communautés autonomes qui en sont responsables – toujours à l’exception des matchs de Liga, avec la liberté de plus ou moins suivre les consignes nationales.
Chaque gouvernement local peut donc décider d’autoriser ou non l’accès aux supporters lors d’un match européen. La Real Sociedad a été la première équipe à saisir cette opportunité, demandant aux autorités basques de laisser entrer 1 000 txuri-urdinak dans leur Reale Stadium. Le gouvernement d’Iñigo Urkullu s’y est montré favorable, mais réduisant finalement ce nombre à 600 personnes.
Chaque communauté autonome est donc libre de réguler le nombre d’entrées dans ses stades lors d’un match européen. Certaines ont fait le choix de conserver le huis-clos, comme c’est le cas en Catalogne. Le Barça a donc reçu Ferencváros dans un Camp Nou vide. Une décision prise au regard de l’augmentation du nombre de cas de coronavirus qui s’est récemment traduite par la fermeture des bars et restaurants dans cette région du Nord-Est. Même chose dans la Communauté valencienne qui a refusé l’entrée de 3 000 fans de Villarreal pour les matchs de Ligue Europa. L’Andalousie fait preuve de plus de laxisme en laissant 800 supporters assister aux matchs de Sevilla et de Granada – respectivement en C1 et en C3.
Les dérogations possibles, apportées en fonction de l’événement, de la région ou encore de l’organisateur, sont autant d’illustrations des politiques contradictoires en vigueur en Espagne. Pour reprendre l’exemple de l’Andalousie, le Sevilla FC dispute à huis-clos ses matchs de Liga, mais pourrait jouer devant 2 500 supporters ses rencontres de Ligue des Champions. Toujours dans cette région du Sud, les matchs amateurs continueront d’accueillir 800 fans, comme il est de vigueur actuellement.
Ces décisions sont la conséquence de la décentralisation des pouvoirs, très marquée dans la péninsule ibérique. Seules les compétitions professionnelles nationales suivent les directives de Madrid. Libre ensuite aux gouvernements régionaux d’autoriser ou d’interdire l’accès aux arènes et aux stades. Cela promet encore quelques imbroglios juridiques et des passes d’armes mémorables…
Jérémy Lequatre-Garat @Euskarade