Le Corner
·3 août 2023
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·3 août 2023
Octobre 2012. Le Barnet FC, modeste club de quatrième division anglaise, secoue la planète football en annonçant la signature d’Edgar Davids en tant qu’entraîneur-joueur du club. Les deux saisons du « Pitbull » au sein du club londonien sont marquées par des frasques sportives qui ternissent l’image du joueur et le pousse à prendre sa retraite.
« You know what ? I’m f*cking Edgar Davids ». Une phrase qui résume à merveille la carrière et le tempérament d’Edgar Davids. Prononcés dans une interview pour Goals on Sunday, ces quelques mots vont provoquer un véritable tollé et écorner son image dans le Royaume. Le « Pitbull », surnom donné par ses coéquipiers pour sa hargne et son tempérament de feu, est un personnage fantasque qui suscite l’admiration autant qu’il est critiqué pour certaines de ses prises de position ainsi que pour sa suspension en 2001 pour dopage.
Après avoir remporté la Ligue des Champions avec son club formateur de l’Ajax Amsterdam en 1995 et évolué dans les plus grands clubs européens (Milan AC, Juventus, Barcelone, Inter Milan), Davids pose une première fois ses bagages à Londres lorsqu’il signe à Tottenham en 2005.
Après un bref retour dans son club formateur durant deux saisons (2007-2009), il s’engage dans un autre club londonien, Crystal Palace, en Championship. L’aventure avec les Eagles est un échec et Davids quitte le club après seulement 6 rencontres. Tout le monde pense alors qu’Edgar Davids va prendre sa retraite, d’autant plus qu’un poste au sein du conseil d’administration de l’Ajax lui tend les bras. Mais Davids refuse et rejoint, contre toute attente, Barnet comme entraîneur-joueur à l’âge de 39 ans.
Un tel recrutement provoque un petit séisme dans le monde du football. L’arrivée de Davids chez les Bees fait d’ailleurs la une des tabloïds anglais. Mais ce choix surprenant n’est pas dénué de sens. Les jeunes entraîneurs néerlandais sont généralement amenés à diriger des équipes d’un niveau « modeste » afin de parachever leur formation. Ainsi, Ruud Van Nistelrooy ou Franck de Boer ont commencé par coacher les équipes de jeunes de leur club formateur. Les jeunes du PSV pour Van Nistelrooy et ceux de l’Ajax pour de Boer. D’autres entraîneurs, comme Ronald Koeman, débutent leur carrière d’entraîneurs dans des clubs d’Eredivisie comme le Vitesse Arnhem. Davids fait donc le choix de démarrer en bas afin de faire ses armes en tant que manager.
Pour le Barnet FC, attirer un tel nom, au-delà de la plus-value sportive, relève d’un énorme coup marketing. Avec ses dreadlocks et surtout ses mythiques lunettes de protection, Davids est une icône et apparaît dans de nombreux spots publicitaires dans les années 2000, de la pochette du jeu vidéo Fifa aux publicités Nike et Pepsi. La venue du “Pitbull” permet donc de donner de la visibilité au club du nord de Londres et d’attirer sponsors et supporters.
La venue d’Edgar Davids à Barnet suscite l’engouement et permet au petit frère oublié d’Arsenal et Tottenham de se faire un nom sur la scène nationale.
A son arrivée, la situation sportive des Bees est catastrophique. Bon dernier de quatrième division avec seulement 3 points pris en 12 matchs, le maintien semble très compromis. Mais pour le directeur sportif de Barnet, Paul Fairclough « l’arrivée de Davids montre l’intention du club d’améliorer les résultats et de jeter de nouvelles bases pour l’avenir. Edgar est un footballeur de renommée mondiale et sera un excellent exemple pour tous nos jeunes joueurs ». Associé à Mark Robson, qui dirige l’équipe depuis le début de la saison, Davids débute ainsi son aventure d’entraîneur-joueur.
Pour le premier match de Davids depuis sa prise de fonction, Barnet FC accueille, à l’Underhill Stadium, Northampton Town. Le Néerlandais est capitaine et évolue au milieu du terrain. Malgré son âge, 39 ans, l’expérience, la détermination et la vista de Davids font la différence et les Bees écrasent Northampton 4 buts à 0. Le “Pitbull” est élu homme du match et offre à Barnet sa première victoire de la saison. Les trois matchs suivants voient Davids et ses hommes engranger 7 points supplémentaires avec des victoires contre Chesterfield et Torquay et un nul contre Wycombe. Très vite, les observateurs parlent d’un « effet Davids » et les supporters des Bees se mettent à rêver d’un improbable maintien en quatrième division.
Malgré les bons résultats, Edgar Davids fait polémique avec ses propos dans la presse. Il déclare, dès son arrivée, vouloir « sauver le football anglais » et critique vertement les Three Lions « Quand je regarde l’équipe anglaise et que je les vois jouer, je ne suis pas un grand fan… Il faut beaucoup de travail. ». Davids marque son intention de provoquer une révolution dans le football britannique en démarrant à un modeste échelon. Ses déclarations montrent que le Néerlandais, à l’instar d’un Zlatan Ibrahimovic ou d’un Eric Cantona, est un personnage excentrique et unique.
Les bons résultats de Davids à la tête des Bees poussent les dirigeants à limoger l’autre manager de l’équipe Mark Robson lors du mois de décembre. Le Néerlandais est à présent le seul maître à bord avec pour objectif de maintenir son équipe. Son bilan est satisfaisant et Barnet croit au maintien en dépit du calamiteux début de saison. Edgar Davids et ses hommes remportent ainsi 13 rencontres, parviennent à obtenir un nul à 9 reprises et perdent 11 fois. Le pitbull parvient même à trouver le chemin des filets face à Southend United : le dernier but de sa carrière.
Outre les résultats, les supporters sont également sous le charme de la qualité du jeu produit par Davids et son équipe. « Lors de sa première saison, il y a eu de nombreux matchs où il était l’homme du match et une joie à regarder » raconte un fan. D’autres indiquent que cette saison 2012-2013 était « spéciale », car l’équipe jouait « un excellent football tiki-taka ». Tout ceci témoigne de la philosophie qu’a voulu insuffler Davids à ses coéquipiers dans un championnat pourtant réputé physique et athlétique.
Edgar Davids au duel avec un joueur de York City lors de la victoire de Barnet 2 buts à 1.
Mais les efforts du Néerlandais vont être réduits à néant lors de la dernière journée de championnat. Barnet doit alors absolument s’imposer ou obtenir un match nul pour se maintenir et affronte Northampton Town, équipe que les Bees ont battu 4 à 0 lors du match aller. Davids et ses joueurs craquent et s’inclinent 2 buts à zéro. Barnet FC est relégué à la différence de but malgré le plus haut total de points jamais enregistré pour un relégué de quatrième division avec 51 points.
Malgré la relégation du club en Ligue Nationale, Davids décide de rester au club avec la ferme intention de lutter pour la promotion. A maintenant 40 ans, le Néerlandais rempile pour une saison, toujours avec la casquette d’entraîneur-joueur. Un choix logique pour le président du club, Tony Kleanthous, qui déclare « Il [Davids] a commencé une révolution du football ici et nous espérons maintenir ce style de jeu attrayant que nous avons développé avec lui. Il veut rester pour terminer le travail qu’il a commencé la saison précédente ».
Mais la seconde saison du Néerlandais à la tête du club va s’avérer catastrophique. En cause, son style de jeu hargneux, son incapacité à gérer son comportement sur le terrain et sa gestion catastrophique du vestiaire qui vont faire de cette saison « une farce » pour les supporters des Bees.
Dès le début de la saison, Edgar Davids s’arrange avec le président pour ne pas faire partie du groupe lors des déplacements à l’extérieur qui nécessite une nuitée. Un choix qui fait enrager les supporters. Le “Pitbull” manquera en effet plusieurs matchs importants de la saison. Ce ressentiment des fans va être exacerbé par la décision de Davids de porter le numéro 1 sur le pré, un numéro normalement réservé aux gardiens de buts. Le portier de Barnet, Graham Stack, raconte ce choix surprenant. « Edgar m’a amené à la cantine un matin et m’a demandé quel numéro je voulais porter. Je lui ai dit que ça ne me dérangeait pas vraiment pas et il m’a demandé : ‘ ça te dérange si je porte le numéro 1 ?’ Je lui ai dit qu’il était manager et qu’il pouvait le porter s’il le souhaitait ».
Pour les supporters, aucun doute, Davids veut attirer l’attention sur lui en lançant cette nouvelle mode pour les joueurs de champs. De plus, pour eux, ce numéro marque une volonté « d’auto-consécration » de Davids. Le Néerlandais se place désormais au-dessus de ses propres joueurs. A l’aube de cette nouvelle saison, les tensions sont donc vives entre l’entraineur et les supporters du club. Les premiers résultats ne vont rien arranger à la situation.
Mais cette appropriation du numéro 1 est-elle uniquement le fruit d’une excentricité de Davids ? En effet, des hypothèses peuvent expliquer ce choix de numéro atypique. Tout d’abord, cette décision pourrait être un hommage à son compatriote Ruud Geels, qui portait ce fameux numéro 1 lors de la Coupe du monde 1974. L’autre explication est liée à la gestion du groupe. Davids aurait essayé d’instaurer davantage de discipline dans son groupe. Son numéro 1 n’aurait été qu’une démonstration de son autorité sur et en-dehors du terrain.
Le début de saison des Bees est loin d’être au niveau d’un club cherchant à être promu. Le club ne prend que 16 points en 10 matchs et se retrouve distancé dans la course à la promotion. Edgar Davids prend donc les choses en main et décide de se titulariser afin de redresser l’équipe. Mais les performances du « Pitbull » sont bien en deçà de celles de la saison précédente. Désormais âgé de 40 ans, le Néerlandais peine physiquement sur le terrain et n’est plus aussi décisif. Pire encore, l’entraîneur-joueur joue aux quatre coins du terrain au gré de ses envies, évoluant en défense centrale, en sentinelle ou en numéro 10.
Avec Davids sur le terrain, les résultats ne s’améliorent pas. Les 8 matchs de championnat en présence du « Pitbull » se soldent par seulement 2 victoires, pour 3 nuls et 3 défaites. Le Néerlandais est également titulaire lors du naufrage de son équipe en FA Cup contre Preston North End 6 à 0. Dès le mois de décembre, le club sait que l’accession directe en quatrième division est impossible et la course aux playoffs compromise.
Le style rugueux et hargneux qui faisait de Davids l’un des meilleurs milieux de terrain au monde dans les années 1990 et au début des années 2000 devient finalement son talon d’Achille. Sa dernière saison sur le terrain est un fiasco. Sur 8 rencontres de championnat disputées, le Néerlandais est exclu à 3 reprises. Les pelouses de Football League ne sont pourtant pas réputées pour être tendres. Davids disjoncte même totalement lors d’un match contre Wrexham. Le numéro 1 des Bees, vient mettre un énorme coup de coude à son adversaire gallois venu tenter de lui prendre le ballon des mains. L’arbitre renvoie les deux joueurs aux vestiaires et Wrexham égalise sur le coup-franc.
Deux mois plus tard, Davids est de nouveau exclu contre Dartford FC pour l’ensemble de son œuvre. La faute à ses nombreuses fautes d’anti-jeu ou de jeux dangereux. Après son match de suspension, Davids revient dans le groupe pour affronter Salisbury. Mais, une nouvelle fois, les nombreuses fautes ainsi que les contestations répétées du « Pitbull » lui valent une expulsion. Il s’agit du dernier match officiel de la carrière de Davids.
Lâché par les supporters à cause des mauvaises performances de l’équipe, Davids quitte le club londonien. Dans un dernier baroud d’honneur, le fantasque milieu néerlandais s’en prend à l’arbitrage. Il juge les arbitres responsables de sa fin de carrière. « Je suis une cible, mais ça va. Je pense que je ne jouerai plus parce que [les arbitres] me privent de ce plaisir ». Selon lui, « certains [cartons rouges] sont exagérés. Il est donc difficile de mener à bien nos tâches lorsque de nombreuses décisions sont contre vous ».
L’avis d’Edgar Davids peut être débattu. L’entraîneur-joueur est-il, à 40 ans, complètement dépassé physiquement et compense-t-il son déficit par une agressivité accrue ou le football a-t-il tout simplement évolué en devenant moins brutal et en laissant moins de place aux bad boys ?
Alors quel bilan dressé de cette première expérience de manager pour Davids ? Pour les supporters, le sentiment de frustration domine tant la seconde saison du Néerlandais sur le banc de touche était catastrophique. Davids laisse en effet les Bees à une dizaine de points des places pour les play-offs ce qui enterre les rêves de remontée.
Cependant, beaucoup gardent un souvenir incroyable de l’ère Davids. Le fond de jeu produit par l’équipe ainsi que les valeurs quasi-guerrières du « Pitbull » émerveillaient les fans. Les qualités humaines du Néerlandais étaient également très appréciées. Davids n’étaient en effet pas avare en autographes et en photos. Mais un autre épisode témoigne de la relation privilégiée qu’entretenaient le “Pitbull” avec les supporters.
Après une défaite en déplacement à Accrington, le bus des 36 supporters venus encourager les Bees tombe en panne. Edgar Davids s’en aperçoit. Il décide donc de stationner le bus de son équipe dans une aire de repos afin d’envoyer le bus vide chercher les fans. « J’ai vu le bus sur le bas-côté de l’autoroute, avec quelques supporters dehors, dans le froid. C’était la moindre des choses, que de leur envoyer le bus pour les ramasser ». Cet épisode, qui peut sembler anecdotique, témoigne néanmoins de la générosité du Néerlandais, sur et en dehors du terrain, ainsi que la proximité qu’il entretient avec les supporters.
Chaotique ou fantastique, le passage de Davids sur le banc de Barnet fait débat chez les supporters de Bees. Néanmoins, beaucoup d’entre eux demeurent nostalgiques de cette folle période. Barnet reste aujourd’hui englué en cinquième division anglaise malgré une promotion glanée l’année qui suivit le départ de Davids. Quant au Néerlandais, sa carrière d’entraîneur reste marquée par des échecs puisqu’il sera licencié par un autre club, Olhanense, en quatrième division portugaise. Depuis, le “Pitbull” a repris du service en tant qu’entraîneur adjoint de la sélection Oranje. Enfin le tremplin nécessaire pour suivre les traces de son mentor Frank Rijkaard ?
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