Lucarne Opposée
·4 février 2023
Lucarne Opposée
·4 février 2023
Le Club Atlético Cerro est riche d’une grande histoire et d’une confrontation centenaire avec son adversaire de toujours, Rampla Juniors. Le club est également riche d’un fort soutien populaire et d’un stade presque monumental. Cela fait beaucoup de richesses, pour un club toujours au bord de la faillite. Alors que l’Albiceleste remonte en première division, voici l’histoire du populaire, du new-yorkais, du maître du quartier, le Club Atlético Cerro.
Cent trente-deux mètres au-dessus du niveau de la mer protégeant une petite baie. C’est sans doute grâce à ce petit monticule protecteur que Montevideo est devenu Montevideo et l’Uruguay devenu l’Uruguay. Il existe plusieurs explications sur le nom de la ville et l’une est qu’un Portugais de l’expédition de Fernando de Magallanes au début du XVIe siècle aurait crié « Je vois un mont » en latin ou en portugais (monte vide eu ou Montem video). C’est sur ce mont que le gouverneur espagnol Francisco Javier de Elío décide en 1808 de construire un fort appelé Forteresse du Cerro afin de protéger la baie des fieffés Portugais qui ne désespèrent pas de reprendre pied sur cette partie du Río de la Plata et des anglais qui s’intéressent à cette partie du monde suite à la déliquescence des deux pays ibères. La forteresse sert également à protéger le phare érigé sur cette colline pour faciliter la navigation. Petit à petit, après l’indépendance du pays et la fin des troubles ayant suivi les indépendances sud-américaines, le fort perd son utilité jusqu’à être démilitarisé en 1939 pour servir de musée, le musée militaire Général Artigas. Entre temps, le quartier de la Villa del Cerro, au pied du fort, est devenu le quartier Cosmópolis, nommé ainsi car de nombreux migrants y arrivent d’Espagne, d’Italie, d’Arménie ou d’Égypte. Ils y trouvent une industrie en plein développement à la fin du XIXe siècle et qui va exploser au début du XXe siècle notamment « grâce » à la première guerre mondiale, l’industrie de la salaison. Dans un monde sans frigo, l’Uruguay abreuve le monde de viande, qu’elle produit abondamment à l’intérieur des terres, une viande salée (donc conservable) mise en boîte dans de grands entrepôts frigorifiques le long du Río de la Plata.
C’est dans ce contexte que le football arrive en Uruguay à la fin du XIXe siècle. Des clubs du quartier commencent à se créer dont un Cerro FC qui joue contre Albion le 19 avril 1901. On n’en sait pas plus sur ce club, qui ne s’est pas affilié à l’AUF. Par contre, en 1908 est créé une ligue propre, la ligue de la Villa del Cerro, avec en son sein sept clubs. En 1917 apparaît un nouveau club, le CA Cerro, qui s’inscrit en troisième division avec d’autres institutions comme Fénix ou Miramar, mais le club disparaît déjà en 1919, année importante car durant cette période, un autre club décide de venir s’installer dans le quartier, Rampla Juniors. Le club vert et rouge a pourtant été fondé en 1914 du côté du port (en face, dans la baie, mais vers la vieille ville) et décide de déménager vers ce quartier dynamique de l’ouest de Montevideo. Au sein du quartier, la population se divise entre ceux qui décident de supporter Rampla et les autres qui, dans une réaction quasi instinctive, résistent à l’équipe de la douane et restent fidèle à un club de quartier encore à construire. L’époque est alors celle de la scission du football uruguayen en deux fédérations, l’AUF et la FUF. Rampla Juniors reste dans la partie légitimiste, celle de Nacional et de l’AUF, et les dirigeants de la FUF cherchent donc un club à inscrire dans leur ligue au sein du quartier du Cerro. Les deux mouvements se rejoignent et le 1er décembre 1922, le Club Atlético Cerro, aux couleurs blanches et bleues ciel à rayures verticales, naît au comptoir du café Panizzi. Le 18 avril 1923, le club s’inscrit auprès de la FUF en payant les cinq pesos de cotisation, il rejoint vingt-trois autres clubs en troisième division « Extra ». Son premier adversaire en match officiel est le Manchester, club disparu depuis, le 20 mai 1923. Cerro l’emporte deux à zéro. Le club est champion dès sa première année et peut donc rejoindre la deuxième division, dite intermédiaire, composée de dix-sept clubs. Cerro est de nouveau champion et gagne le droit de jouer la première division de la FUF en 1925.
Le championnat débute avec une victoire trois buts à deux sur Central Español, puis un match nul contre Wanderers. Mais le championnat est rapidement arrêté après la sixième journée, dans l’objectif d’unifier les deux championnats, celui de l’AUF et de la FUF, sous les bons hospices du Président de la République Serrato. Ce dernier décide de qualifier les équipes de l’AUF pour la première division et d’effectuer un mini-championnat entre les seize équipes de la FUF desquels seulement dix équipes accéderont à la première division réunifiée. Cerro termine sixième d’un championnat difficile composé également du Bella Vista de Nasazzi ou de l’Olimpía de Gradín et conserve donc le droit de participer à la première division. En première division, le Club Atlético Cerro joue pour la première fois contre le club qui d’une certaine façon a forcé sa naissance, Rampla Juniors. Alors que Rampla est une puissance de l’époque, ayant été champion du précédent championnat de l’AUF, Cerro l’emporte un à zéro sur un but de Pitongo García sur le terrain de Rampla, le Parque Nelson. C’est le premier clásico de la Villa, qui continue aujourd’hui de marquer le football uruguayen. Malheureusement, Cerro descend en 1929 en terminant dernier du championnat. Le club va passer seize années de rang en deuxième division.
Il espère remonter immédiatement mais de graves incidents avec de véritables « batailles » sur les terrains font que le club est exclu cette saison et ne peut donc pas remonter immédiatement. Ensuite, l’AUF bloque la montée lors de la mise en place définitive du professionnalisme en 1931 et l’équipe traverse donc les années trente comme une âme en peine. Le club n’a toujours pas de stade propre et joue dans divers stades du quartier jusqu’à 1935, lorsqu’il acquiert un terrain sur lequel il construit le Parc Demetrio Arana, qui n’est pas encore tellement un stade, plutôt un terrain de football entouré de quatre monticules servant de tribunes. Le club a beau terminer champion en 1937, il perd son barrage contre Liverpool (dernier de première division) et reste donc bloqué au deuxième échelon. Rebelote en 1939 et en 1940, le club perd son barrage contre Bella Vista. Il faut attendre un changement de règle en 1942 pour voir le vainqueur de la B revenir directement parmi l’élite, sans barrage. Ce sera le cas pour Cerro en 1946. Il restera parmi l’élite pendant cinquante ans, jusqu’en 1997.
Le club rentre alors dans une phase de développement qui voit deux de ses joueurs être champion du monde : Matías González et Héctor Vilches. Le premier, défenseur fait ses premiers pas avec la Celeste en 1948 et il est alors en opposition avec Obdulio Varela, en grève comme la majorité des joueurs, et qui ne veut pas que les footballeurs participent à la sélection. Finalement, les deux se parlent début 1950 autour d’une bière et décident de laisser leurs différents de côté. González est une pièce maîtresse en défense en 1950 au côté de Tejera à tel point qu’il est surnommé le Lion du Maracanã. Durant les années cinquante, un homme prend la main, un homme qui aura une importance fondamentale sur le club : Luis Tróccoli.
Ce dernier est un homme politique du parti Colorado, un homme d’affaires, et donc président de club de football, profil que l’on retrouve dans de nombreux clubs à cette époque. Sous son mandat, Cerro réalise de nombreux exploits comme une première place ex-æquo au classement en 1960 qui force une finale contre le grand Peñarol fraîchement champion d’Amérique du Sud. Dans un stade plein, avec un Centenario dans lequel les supporters albicelestes ont rempli une tribune après une caravane ayant traversée toute la ville, le Cerro dirigé par Robert Porta perd trois buts à un, mais est le premier hors Nacional et Peñarol à être monté aussi haut depuis que le football uruguayen est devenu professionnel. Il faudra attendre 1976 pour revoir une équipe faire jeu égal, et même dépasser, les deux grands, avec le titre obtenu par le Defensor. Cerro continue son développement avec un stade propre pouvant accueillir 25 000 spectateurs inauguré en 1964 contre le River Plate argentin. Cerro s’impose cinq buts à deux, avec des buts de Victor Espárrago, Julio César Cortés et Eduardo Restivo. Le stade est surnommé Monumental et comprend quatre tribunes : Argentine, Paraguay, Brésil et Chili.
Fier de ses succès, d’avoir produit des champions du monde et avec une équipe quasi-championne d’Uruguay en 1960, Cerro effectue en 1963 une immense tournée entre la Roumanie, la Hongrie, l’Ukraine et l’Afrique du Sud. L’équipe souffre lors de son arrivée du changement de température et les résultats sont mitigés. Le principal « fait de gloire » est le match contre le club ukrainien du Karpaty Lviv, qui est le premier match diffusé en direct en Uruguay depuis l’Europe, le 12 juin 1963. Cerro perd 1-0. La suite de la tournée se joue en Afrique du Sud ou Cerro est invaincu dans ses quatre matchs, dont un match nul 2-2 contre la sélection d’Afrique du Sud.
En 1966, un groupe d’investisseurs américains fondent la North American Soccer League. Peu de liens a priori avec le quartier du Cerro. Sauf qu’un autre championnat le concurrence, la National Professionnal Soccer League et que les premiers, jamais avares de bonne idée pour damner le pion aux seconds, décident de créer un nouveau championnat, l’United Soccer Association. Le contexte de ce championnat est d’importer des équipes entières de l’extérieur et de les faire jouer pendant deux à trois mois aux États-Unis. Ils importent des équipes d’Europe (Cagliari, Sunderland, Wolverhampton, Stoke City, Hibernians, Dundee United, Aberdeen, Shamrock Rovers, ADO Den Haag et Glentoran) mais aussi Bangú du Brésil et notre glorieux Cerro. L’équipe de la Villa participe donc en représentation de New York, sous le nom des New York Skyliners et joue de local au Yankee Stadium, gigantesque stade de base-ball. Le nouveau championnat débute le 28 mai 1967 pour Cerro contre l’Hibernians de Toronto. Mais l’équipe albiceleste ne gagne aucun de ses sept premiers matchs, ne remportant au final que deux matchs sur douze (contre le Stoke City de Cleveland et contre le Dundee United de Dallas). Alors que le championnat a commencé avec beaucoup de public (et aussi beaucoup de places offertes aux lycéens), il se termine dans l’anonymat et la ligue USA se dissout dans la NPSL en décembre 1967. L’idée des équipes importées disparaît. C’est la fin des New York Skyliners, une idée qui aura fait que le club de Cerro représente New York pendant quelques mois au printemps 1967.
Le club rentre un peu dans le rang par la suite, avec la montée d’autres équipes comme le Defensor ou le Danubio. Dirigé par Gerardo Pelusso, Cerro participe pour la première fois à la Copa Libertadores en 1995 après avoir terminé deuxième de la Liguilla pré-Libertadores mais termine dernier de son groupe avec une seule victoire contre Independiente. Le club finit par descendre pour la première fois en cinquante ans en 1997 notamment à cause de sanction de pertes de points à la suite de violences dans son stade. Mais il remonte aussitôt l’année suivante. Le quartier s’est appauvri avec la fin de l’industrie sur place, passant du statut de quartier ouvrier à celui de quartier pauvre. Un premier supporter meurt en 1999 lors d’un match contre Peñarol et la violence commence à se faire omniprésente aux abords et évidemment dans le stade.
Après un nouvel ascenseur avec la deuxième division en 2005 puis en 2007, Cerro remonte et remporte son premier grand trophée avec la Liguilla Pré-Libertadores 2009. Le club termine premier avec quatre victoires et une seule défaite contre le deuxième, Racing, également qualifié. Emmené par Eduardo Acevedo, il compte sur son meilleur buteur Joaquín Boghossian mais aussi Richard Pellejero ou Pablo Caballero. Durant la Copa 2010, Cerro effectue ses meilleures performances en coupe continentale avec une troisième place et huit points au total, insuffisant pour se qualifier pour le second tour. Il joue pour la dernière fois à ce jour la Copa Libertadores en 2017, mais dans le cadre de la phase préliminaire, et est sorti en aller-retour par la Unión Española. En 2018 et 2019, le club participe à la Copa Sudamericana avec notamment le même Richard Pellejero qui bat le record du plus vieux buteur lors du tournoi, du haut de ses quarante-trois ans. Mais depuis quelques années déjà, le club souffre de difficultés financières et de dettes de salaire. Plusieurs fois,il s’inscrit de justesse à l’AUF en réglant les dettes ou en les refinançant à la dernière minute et dépend pour cela pendant longtemps de Paco Casal, grand financier du football uruguayen, qui n’aime rien de plus que d’avancer des fonds pour obtenir un poids politique et récupérer ses billes derrières. Sauf que le club essaie de se libérer de sa tutelle, n’y arrive pas, et tombe à nouveau en deuxième division fin 2020. Pour la première fois depuis les années quarante, il n’arrive pas à remonter la saison suivante. Pour la première fois depuis ces années, il joue le clásico contre l’adversaire de toujours en deuxième division.
La deuxième division s’est jouée en 2021 sans public, dans un stade neutre, favorisant encore plus ces clubs-sociétés sans stade ni public justement, à l’inverse des historiques comme Cerro ou Rampla. Avant cette pandémie, en 2019, la confrontation de la villa avait été expliquée par l’exemple dans une vidéo expliquant le parcours de Justo et son fils Nico. Dans la joie ou la tristesse, dans l’amitié ou dans la confrontation. Finalement, le club termine quatrième de la saison régulière, s’améliorant notablement en deuxième partie de saison, et se qualifie donc pour les barrages d’accession lors desquels il retrouve son adversaire de toujours, Rampla Juniors, en finale. Les deux matchs aller-retour se jouent au Viera pour des raisons de sécurité et au terme de deux confrontations âpres (1-0 puis 0-0), Cerro retrouve la première division trois ans après l’avoir quittée.
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