Le Corner
·5 février 2020
Le Corner
·5 février 2020
20 octobre 1976, Diego Maradona n’est encore qu’un adolescent de 15 ans et 355 jours. Malgré son très jeune âge, Juan Carlos Montes, l’entraîneur d’Argentinos Juniors, a décidé de le prendre dans son groupe professionnel. Au milieu de la seconde mi-temps d’un match de championnat contre Talleres, il se tourne vers lui et le fixe droit dans les yeux. Maradona soutient son regard insistant, Montes comprend, le gamin est prêt. Maillot rouge sur les épaules, numéro 16 dans le dos, l’adolescent se lève et s’approche de la ligne de touche. El Pibe de Oro s’apprête à commencer l’écriture de sa légende. Est-il nerveux ? Impatient ? Intimidé ? « La vérité, c’est qu’à l’entraînement, on se faisait mettre à l’amende par un gamin de 15 ans. » raconte le capitaine de l’époque, Ricardo Pellerano. Retour sur l’ascension fulgurante du miracle d’Argentinos Juniors.
Au cours de sa période de formation, de nombreuses personnes ont eu l’occasion de découvrir l’immense talent du gamin originaire de Villa Fiorito. Incompréhension est le mot idéal pour décrire le sentiment qu’ont ressenti les différents acteurs du football le jour où ils ont vu Diego Maradona jouer pour la première fois. L’un l’a pris pour un nain, un autre a crié au scandale et un dernier est sorti d’une profonde dépression grâce lui. Découvrez dans cette première partie l’émergence de Maradona à travers les yeux de quelques personnes clés qui l’ont découvert alors qu’il n’était encore qu’un enfant.
« Il paraît que toute personne assiste à au moins un miracle dans sa vie, cependant la plupart ne le réalise pas. Ce n’est pas mon cas. Mon miracle est apparu lors d’un samedi pluvieux de 1969, quand un gamin de 8 ans […] a fait des choses avec la balle que je n’avais jamais vu de ma vie. » Francisco Cornejo dans Cebollita Maradona.
Lors de ce fameux samedi pluvieux de 1969 (ou 1970, Maradona et Cornejo ne déclarent pas la même date, ndlr), Francisco Cornejo organise une nouvelle journée d’essai afin d’injecter du talent dans son équipe benjamine d’Argentinos Juniors. Expérimenté, celui que tout le monde appelle Francis s’occupe des gamins du club depuis 1953, soit plus de 16 ans. Dernièrement, il a découvert un jeune joueur très talentueux originaire des bidonvilles, Goyo Carrizo. Les réseaux de recrutement étant précaires dans les années 70, Cornejo a demandé quelques jours auparavant à cet enfant s’il connaissait quelqu’un d’aussi bon que lui dans son quartier. Goyo lui répondit du tac au tac : « Oui ! J’en connais même un qui est meilleur que moi ! » Francis ne sait pas quoi en penser, Carrizo fait déjà parti du haut du panier et ce serait surprenant de voir deux gamins aussi talentueux nés la même année, issus du même quartier. Il a tout de même accepté de voir jouer ce petit prodige.
Le Jour J, après quelques minutes d’attente, il voit les enfants arriver les uns après les autres. Deux d’entre eux semblent être avec le petit Goyo : Montanya et Maradona, tous originaires de Villa Fiorito. Cornejo ne sait pas lequel des deux est le joueur le plus talentueux. Il ne le saura certainement pas car il a une mauvaise nouvelle à leur annoncer.
La séance d’essai est annulée. Les terrains sont inondés et impraticables à cause de cette maudite pluie, pourtant si rare dans le ciel de Buenos Aires. Les enfant affichent des mines défaites, des larmes commencent à couler le long de leurs joues… Face à ce triste spectacle, Cornejo, le cœur sur la main, décide de prendre un pick-up pour finalement effectuer cette journée de détection dans un parc, plus loin au sein de la capitale argentine.
Une fois arrivé, le test commence et c’est alors que son miracle se produit sous ses yeux. L’ami de Goyo fait des gestes incroyables avec la balle. Du haut de ses 16 ans d’expérience, Francis n’avait jamais vu un enfant manier le ballon comme ce petit Diego. Cependant, la méfiance s’installe dans son esprit, il ne peut pas y croire. Ses jambes sont musclés, du duvet est visible juste au-dessus de sa bouche… « Un nain ?! » se demande Francisco Cornejo. Pour en avoir le cœur net, il demande à Diego de lui donner ses papiers d’identité. Les explications de l’enfant sont alors confuses, il dit les avoir oubliés chez lui… Cela ressemble malheureusement à un mensonge… Son miracle n’est peut-être qu’un mirage.
A sa grande surprise, après avoir accompagné Maradona jusqu’à la maison de ses parents, Doña Tota, sa mère, lui tend un vieil extrait de naissance certifiant bel et bien que Diego Armando Maradona est né le 30 octobre 1960. L’histoire est en marche.
« Sans lui, je ne sais pas ce que je serais devenu. Je lui dois tout. C’était plus qu’un entraîneur, c’était un père pour nous. » Diego Maradona à propos de Francisco Cornejo dans Maradona d’Alexandre Juillard.
Avec les Cebollitas (les petits oignons, le nom de l’équipe benjamine d’Argentinos Juniors), Dieguito réalisa des miracles. Des buts, il en a inscrit des centaines. Des dribbles, il en a réalisé des milliers. Sur environ 140 matchs joués, les Cebollitas n’en ont pas perdu un seul. Mais Maradona s’ennuie, il est trop fort pour cette catégorie d’âge. Malheureusement, le règlement est formel : Interdiction de surclasser des benjamins. Cornejo ne peut donc pas intégrer Maradona à son équipe juvenile avant que celui-ci n’ait 13 ans… En théorie.
Tels sont les mots prononcés par l’entraîneur de l’équipe juvénile de Boca Juniors à la fin d’un match les opposant à Argentinos Juniors. Lors d’une rencontre à laquelle Maradona n’avait pas le droit de participer parce qu’il était trop jeune, Cornejo a décidé de l’inscrire sur la feuille de match sous le nom de Montanya (nom de son ami originaire de Villa Fiorito) et de le placer sur le banc.
Au début de la deuxième période, la légende raconte que son équipe était menée trois buts à zéro. Face à ce constat d’échec, Francisco Cornejo aurait décidé de faire entrer celui que tout le monde pensait être Montanya. Maradona, virevoltant, aurait inscrit deux buts et offert une passe décisive au cours de cette seconde période, permettant à son équipe d’égaliser. Ses coéquipiers et les quelques supporters présents ce jour-là aurait alors exulté et chanté « Diego ! Diego ! Diego ! » En entendant cela, l’entraîneur de l’équipe adverse se serait emporté et aurait déclaré : « C’est Maradona ! Tu n’as pas le droit de faire jouer Maradona ! » Une histoire qui a toujours amusé Cornejo car c’était bien la première fois que quelqu’un lui reprochait de faire jouer un joueur trop jeune.
Bien qu’il n’ait pas encore 13 ans, en 1973, le nom Maradona commence à être connu dans le monde du football argentin. Après être passé à la télévision, l’hebdomadaire sportif le plus populaire d’Argentine, El Grafico, consacre deux pages pleines sur la star des Cebollitas. Une popularité grandissante grâce à ses exploits dont tout le monde parle. Il aurait inscrit dix buts dans un seul match, il en aurait marqué un en traversant le terrain avec le ballon collé à sa tête ou encore un autre en jonglant par dessus tous ses adversaires…
Plus tard, sa cote de popularité auprès des supporters argentins continuera de grandir grâce aux spectacles qu’il donnait à la mi-temps des matchs de l’équipe de Primera Division.
« Qu’il reste ! Qu’il reste ! »
Ces mots, ce sont les chants entonnés par les supporters quand Maradona est au centre du terrain pour assurer le spectacle de la mi-temps. Ces petits show, c’est un dirigeant du club qui a eu l’idée de les mettre en place pour mettre en avant les jeunes du centre de formation tout en divertissant le public.
« Diego entrait sur le terrain des pros d’Argentinos Juniors comme s’il n’y avait personne dans les tribunes ! On était ramasseurs de balles et, à la mi-temps, on faisait quelques jongles. Bon, moi, classique. Mais lui, il en faisait avec la tête, avec les épaules. Les gens l’applaudissaient, il adorait ça. » Goyo Carrizo dans SoFoot, hors-série spécial Argentine.
« Qu’il reste ! Qu’il reste ! » Alors que les joueurs professionnels reviennent des vestiaires, les supporters réclament toujours plus de spectacle de la part de leur enfant prodige. Ils tapent dans leurs mains au rythme du ballon qui rebondit sur les pieds de Dieguito, ils chantent, ils sont heureux. Un lien affectif très fort se forme entre Maradona et le public argentin au cours de ses jeunes années d’apprentissage. Sa notoriété ne cesse de grandir, au point où un retraité lui offre son vélo pour le remercier du bonheur qu’il lui procure. Au point où un autre adolescent, sombrant dans une profonde dépression, finit par en sortir grâce à l’amitié qu’ils construiront ensemble.
Après de longs mois passés enfermés dans sa chambre, Jorge Cyterszpiler décide d’en sortir pour aller voir ce gamin, de deux ans son cadet, dont un de ses amis lui a parlé. Sorti, il se dirige vers le centre d’entraînement du quartier d’Argentinos Juniors, La Paternal. Il peine à marcher vers le terrain, la faute à une maladie qui l’a foudroyé alors qu’il venait de naître, la polio. Survivant miraculeux, il en a tout de même conservé des séquelles. Sa jambe droite le fait souffrir mais il ne s’en plaint jamais.
Bien qu’il résiste à la douleur provoqué par son membre inférieur, c’est son cœur qui saigne à l’idée de retourner sur un terrain de football. Il n’est plus aller assister à un match depuis le décès de son frère sous les couleurs d’Argentinos Juniors. Alors qu’il n’avait que 12 ans et qu’il était devenu la mascotte du club, Jorge fut le témoin direct du terrible accident vécu par son frère Juan Eduardo, de dix ans son aîné. Sur un ballon anodin, le joueur d’Argentinos sprinta pour récupérer le cuir. C’est à ce moment qu’il fut violemment percuté par un joueur adverse au niveau des testicules. Victime d’une hémorragie interne, un cancer foudroyant se déclara peu après, il n’y survivra pas. En un claquement de doigts, le rêve de Jorge Cyterszpiler se transforma en cauchemar.
Arrivé sur le bord du terrain, il observe quelques minutes et est rapidement impressionné par le talent de ce joueur des Cebollitas. Il revient le voir régulièrement et les deux garçons finissent par se lier d’amitié. Une amitié qui permettra à Jorge de faire son deuil.
« Mon grand frère jouait pour Argentinos, et je passais tout mon temps à le suivre. Quand il est mort à 22 ans, ça a été terrible pour moi… Au bout de six mois, un ami est venu me chercher pour m’emmener voir un match des Cebollitas. C’est la première fois que j’ai vu Maradona de ma vie. Ils avaient gagné 5-4 contre les jeunes de River Plate, et Diego en avait mis quatre. Avec le temps, on a commencé à faire connaissance. Il venait chez moi. On est vraiment devenus amis le jour où il a dormi dans le lit de mon défunt frère, Juan Eduardo. » Jorge Cyterszpiler dans SoFoot, hors-série spécial Argentine.
Alors que tout le microcosme entourant Argentinos Juniors est en émoi devant le talent de Diego Maradona, El Grafico allant jusqu’à déclarer qu’il avait le potentiel pour devenir le meilleur joueur argentin de l’histoire, un homme n’était toujours pas convaincu : Juan Carlos Montes.
Les débuts de D10S
Juan Carlos Montes, entraîneur de l’équipe première d’Argentinos Juniors, entendait de plus en plus parler de ce jeune du centre de formation qui réalisait des merveilles. Ils le décrivaient tous comme un joueur génial. Loin de remettre en cause le talent de ce gamin, Montes ne jugeait pas opportun le fait de lancer un joueur aussi jeune dans un contexte défavorable. Argentinos était en difficulté en championnat et il comptait avant tout sur des joueurs d’expérience pour sortir de cette situation critique.
Au milieu de l’année 1976, il décide finalement de l’intégrer au groupe professionnel pour le tester à l’entraînement. En seulement deux ans et demi, Maradona est passé de la catégorie juvénile à la professionnelle. Un exploit, une progression fulgurante. En temps normal, un joueur a besoin d’environ cinq ans pour gravir tous ces échelons. Dès la première séance, son talent fait mouche. Certains joueurs ont quasiment vingt ans de plus que lui et ils ne parviennent pas à le tenir. Juan Carlos Montes doit s’incliner face à ses qualités indéniables. Ce gamin n’a que quinze ans mais fait déjà parti des meilleurs joueurs de son effectif.
20 octobre 1976, Maradona est pour la première fois sur le banc lors d’un match officiel. Opposé à Talleres, club qui finira en tête de leur poule, ils sont menés 1-0 avant l’entrée en jeu de Dieguito au milieu de la deuxième mi-temps. Avant de rentrer, les derniers mots de son entraîneur sont restés dans les livres d’histoire :
» Vas-y gamin ! Joue comme tu sais le faire et si tu le peux, fais un petit pont ! «
La suite du récit raconte que sur son premier ballon, Maradona réussit à faire passer la balle entre les jambes de son adversaire direct, Juan Cabrera. Malgré la défaite pour son premier match, Maradona s’installe définitivement dans le groupe professionnel.
Ricardo Pellerano, le capitaine, explique que lors du deuxième match professionnel de Dieguito contre Newell’s Old Boys, l’entraîneur lui a donné des consignes surprenantes. S’il parvenait à gagner le toss, il fallait prendre l’engagement et donner directement la balle à Maradona. J. C. Montes savait que Newell’s mettait en place un gros pressing dès le coup d’envoi. L’objectif ? Que Maradona attaque directement le camp adverse balle au pied et qu’il crée un déséquilibre en annihilant le pressing grâce à ses qualités techniques. Le jour du match, le capitaine gagne le toss, donne la balle à Maradona qui dribble trois ou quatre joueurs (dont un petit pont sur le premier) et gagne un corner. Lors de son cinquième match contre San Lorenzo, Diego marque ses deux premiers buts professionnels. C’était le 14 novembre 1976 et son ascension ne faisait que commencer.
L’explosion du phénomène Maradona
Des images valent bien plus que des mots pour faire honneur au phénomène que les supporters d’Argentinos Juniors ont vu éclater dans les années 70 :
Avant de continuer, et ce pour plus de clarté, il faut savoir qu’une année footballistique en Argentine était découpée en deux, entre deux compétitions majeures : le championnat Metropolitano et le championnat Nacional.
« Il s’agissait de deux tournois distincts à cette époque. Le Metropolitano, c’est l’ancêtre de la Primera (équipes affiliées à l’AFA), le Nacional incorporait les équipes de l’Interior (qui devaient se qualifier via un tournoi régional). En Argentine, comme dans toute l’Amérique du Sud, toutes les compétions sont importantes (même un pauvre trophée face au vainqueur de la coupe du Japon…). Mais dans l’esprit, le Metropolitano est devant. » Cancha Argentina, spécialiste du football argentin que vous pouvez suivre sur Twitter et sur Lucarne Opposée.
Joueur professionnel avec Argentinos Juniors entre 1976 et 1981, Diego Maradona n’a remporté aucun titre collectif avec cette équipe mais a tout de même marqué de son empreinte les compétitions argentines en devenant rapidement le meilleur joueur du pays.
Entre 1978 et 1980, alors qu’il n’a même pas atteint 20 ans, Diego Armando Maradona a terminé cinq fois meilleur buteur sur six tentatives.
Au total, il a inscrit 116 buts en 166 matchs avec son club formateur. Devenu le meilleur joueur du championnat et international avec l’Argentine, sa vie a complètement changé. Il n’est plus pauvre, il n’est plus anonyme non-plus, Diego est désormais une star.
L’aspect financier de son existence a également opéré un virage à 180 degrés. Quand à dix ans, il gagnait quelques pesos grâce au football pour aider les siens, il a fini par prendre l’entière responsabilité financière des Maradona à lui seul. Argentinos Juniors lui a tout d’abord offert un appartement dans le quartier de La Paternal, lieu dans lequel il a emménagé avec toute sa famille. Il recevait aussi un confortable salaire de la part du club pour vivre correctement. Une bonne fois pour toute, Maradona a dit adieu au bidonville de Villa Fiorito.
Cependant, avec de telles performances, sa vie privée a aussi été chamboulée. Les Argentins admiraient profondément cet enfant merveilleux mais cet amour rendait parfois difficile la vie de ce jeune footballeur.
« Quand on allait dans un restaurant, il y avait deux cents personnes qui venaient le voir pour un autographe. A la 201e, quand son plat était froid, il disait qu’il ne voulait plus signer et les gens s’énervaient, l’insultaient, « fils de pute », etc. A force, il a fini par manger tout le temps tout seul dans sa chambre, sur son lit, pour ne pas avoir à parler aux gens. Il avait à peine 18 ans. C’était triste. » Ricardo Pellerano dans SoFoot, hors-série spécial Argentine.
Cette folie entourant son personnage, Diego Maradona ne s’en détachera jamais. Que ce soit sous les olé de la Bombonera, pendant ses incartades catalanes, dans le volcan napolitain ou encore dans le cœur de l’Argentine : Jamais Diego Armando Maradona ne retrouvera une vie paisible.
A 18 ans, Maradona veut déjà partir de son club formateur. Plusieurs géants européens lui font les yeux doux, comme le FC Barcelone ou encore la Juventus mais le gouvernement militaire en place se montre intransigeant et ne compte pas laisser partir son plus beau joyau. Quand Argentinos Juniors n’aura plus aucune solution pour retenir son génie, les dirigeants politiques du pays feront le maximum pour que Boca Juniors ou River Plate s’en emparent…
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Diego Maradona restera à tout jamais le plus beau symbole de l’histoire d’Argentinos Juniors. Un club tourné depuis toujours vers son centre de formation qui a vu le plus grand joueur de l’histoire en sortir. Francisco Cornejo est surtout fier d’avoir aussi participé à l’épanouissement d’un enfant qu’il a vu devenir homme. Avant de décéder le 14 mars 2008 à 76 ans, Francis vivait dans la pauvreté, dans un petit appartement de Buenos Aires. Cependant, il ne s’est jamais senti pauvre : « Depuis ce jour, je me sens intérieurement riche. Grâce à Diego, je me sens comme un artiste qui a peint le plus beau des tableaux. »
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Crédits photos : IconSport