
Le Corner
·23 mars 2025
Mazzone et la Roma : Unico grande amore #2

Le Corner
·23 mars 2025
Carlo Mazzone, l’entraîneur italien qui a dirigé le plus de parties en Serie A est l’objet d’une grande admiration en Italie et des anciens joueurs qu’il eut sous ses ordres dont certains fuoriclasse comme Roberto Baggio, Andrea Pirlo, Pep Guardiola et bien sûr Francesco Totti. Après avoir débuté sa carrière d’entraineur à Ascoli, faisant de cette ville moyenne du fin fond des Marches, une place forte du Calcio, Carlo Mazzone poursuit à Rome, sa ville natale, dans son club adoré de l’Associazione Sportiva Roma.
Bologne, Lecce, Pescara, Cagliari, ça ressemble à des destinations Ryanair depuis l’aéroport Paris-Beauvais, mais ce sont surtout les différents clubs que Carlo Mazzone entraîna à la suite de son départ d’Ascoli.
Un itinéraire empruntant davantage les montagnes russes que la voie des airs. Un échec dans la remontée du FC Bologne en Serie A, réparé dans les Pouilles par deux maintiens dans l’élite, un passage sans saveur à Pescara puis un sommet en Sardaigne en envoyant Cagliari en Coupe de l’UEFA. Cet exploit lui ouvre les portes de Rome.
Lui, le natif de la ville éternelle, le tifoso de la Roma atteint son graal. Il souhaite raviver le brasier d’une passion contrariée par seulement quelques brèves apparitions au sein de la Louve et un départ forcé à Ascoli où il écrivit ses lettres de noblesse.
Le Trapattoni des pauvres
Vujadin Boškov avait remplacé Carletto Mazzone alors licencié d’Ascoli, dans un malicieux coup du destin, l’inverse se produit à Rome. En effet, le technicien serbe est débarqué à la fin de la saison 1992-1993 et une triste dixième place.
Pour les Giallorossi une nouvelle ère commence avec la fin crépusculaire sur fond de corruption du règne de Giuseppe Ciarrapico et l’élection à la présidence de Franco Sensi. Le magnat du pétrole a également de la suite dans les idées. Il nomme Mazzone à la tête du club, en guise de cadeau de bienvenue, il casse sa tirelire et pour 18 milliards de lires, offre au technicien le vice-meilleur buteur de Serie A, Abel Balbo venu de l’Udinese. Cadeau empoisonné visant à pallier la suspension pour dopage de Claudio Caniggia coupable d’avoir laissé trainer ses narines dans la poudre blanche.
La Roma millésime 1993-1994, c’est un album Panini pour quarantenaire, Aldair, Siniša Mihajlović et Amedeo Carboni derrière, Thomas Häßler dans l’entrejeu pour servir Giuseppe Giannini et donc Abel Balbo. Un bel effectif et le retour à la maison de Carletto accueillit pour sa présentation par une banderole de la Curva Sud projetant un amical « Bentornato a casa ». Ce dernier ambitieux et honnête prévient qu’il ne veut pas profiter au nom de sa romanité de l’indulgence des tifosi souhaitant « des sifflets et des huées si nous jouons mal et sans engagement ».
Carlo Mazzone lors de sa présentation à l’AS Roma (Wikimedia Commons)
Pour sa première à domicile, Carlo Mazzone, ne peut rêver mieux que la Juventus dirigée par Giovanni Trapattoni et son trident offensif XXL, Andreas Möller, Roberto Baggio et Gianluca Vialli. Le Trap contre le Mazz, deux stratèges, mais c’est surtout pour Carletto que la presse surnommait « le Trapattoni des pauvres », l’heure de la revanche.
Le Stadio Olimpico est bondé, déversant plus de tifosi que ce qu’il peut en contenir, prenant les allures d’un volcan jaune et rouge. Pour l’occasion, Mazzone délaisse le survêtement pour le costume. La Roma attaque pied au plancher et il faut un Angelo Peruzzi des grands soirs pour retarder l’ouverture du score romaine. L’inéluctable arrive après la demi-heure de jeu quand Siniša Mihajlović, sur un corner, délivre une merveille de passe décisive pour la tête d’Abel Balbo.
En seconde mi-temps, la Juventus pousse. Gianlucca Vialli lancé dans la surface se présente pour un duel face à Fabrizio Lorieri mais l’attaquant bianconero est fauché. Penalty inévitable, Roberto Baggio se présente, frappe à ras de terre, Lorieri se détend et sort le tir. L’affiche devient mythique quand quelques minutes plus tard, Vialli défie le gardien de la louve pour un nouveau penalty. L’attaquant choisit lui aussi de tirer sur la droite du portier, mais voit son ballon fuir le cadre. L’avance romaine tient à un fil, rompu, quand, à la 78e minute, un coup franc de Roberto Baggio, sur le côté droit, rebondit dans les pieds d’Andreas Möller qui, à bout portant, glisse le ballon au fond des filets. Mazzone insuffle sa rage de vaincre et le remplacement de Ruggiero Rizzitelli par Roberto Muzzi s’avère gagnant, ce dernier marquant suite à un centre tir de Balbo. Muzzi a même l’occasion d’alourdir la marque en un contre un face à Peruzzi mais son extérieur du droit se dérobe.
Coup de sifflet final, victoire de la Roma 2 buts à 1. L’adversaire, la dramaturgie de la partie, le courage des Romains, tous les ingrédients sont réunis pour une saison exceptionnelle.
Tu seras un homme mon fils
Après cette victoire de prestige, la louve de Mazzone ronronne pour se retrouver à une piteuse onzième place après la 24e journée. Le sorcier romain souhaite muscler ses entraînements par davantage d’opposition et charge son adjoint Leonardo Menichini de compléter l’effectif avec un apport juvénile issu de la Primavera, la section jeune du club. Parmi ce nouveau contingent, un certain Francesco Totti, dix-sept ans, qui avait grappillé une poignée de minutes le temps de trois apparitions sous Boškov. Joueur complet avec une vision du jeu aussi léchée que sa technique. Mazzone le titularise pour la première fois en Serie A, en février, contre la Sampdoria. Le match se solde par une défaite des Giallorossi, mais Totti bénéficie de 86 minutes de jeu et enchaîne la semaine suivante avec son premier derby perdu également.
Si Guy Roux arpentait le parking du centre d’entraînement de l’AJ Auxerre carnet à la main pour relever les compteurs kilométriques et surveiller les incartades de ses joueurs, Carlo Mazzone bénéficiait d’aide extérieure. Il amadouait Fiorella Totti, chargée de veiller au bon repos de son prodige de fils dont l’ardeur juvénile le poussait à des sorties nocturnes en vespa. Mazzone paternaliste maniait la caresse et la cravache, intégrant le futur crack dans son groupe qui finit en boulet de canon pour mourir à la 7e place, première place non qualificative pour la Coupe d’Europe.
Mazzone posa sa main sur le collectif en faisant reculer Giuseppe Giannini, joueur très technique, devant la défense dans ce qui préfigurera le rôle dévolu à Andrea Pirlo à Brescia.
La seconde saison de Sor Magara, le surnom qu’il reçut à Catanzaro pour sa propension à utiliser, l’expression divinatrice « magara » qui en dialecte romain signifie « peut-être » démarre par un grand chambardement. Adieu Mihajlović, Häßler et Ruggiero Rizzitelli, bienvenue au Suédois Jonas Thern et à l’Uruguayen Daniel Fonseca, tous deux venus du Napoli et Francesco Moriero, vieille connaissance sarde de Mazzone comme Fonseca.
La première journée a valeur de test, la Roma reçoit Foggia, le club des Pouilles fut une des surprises de la saison précédente avec une neuvième place et un jeu ultra-offensif dirigé par le sorcier Zdeněk Zeman, avec aux manettes des talents prometteurs Luigi Di Biagio, José Chamot, Igor Kolovanov ou Bryan Roy. Enrico Catuzzi remplaça Zeman parti à la Lazio. À la 30e minute, le temps se suspendit un instant, sur une délicieuse remise de la tête de Daniel Fonseca, un Francesco Totti lancé à l’entrée de la surface de réparation marque le premier de ses 307 buts avec la Louve d’une frappe limpide du gauche.
1er but en Serie A de Francesco Totti contre Foggia (Wikimedia Commons)
Foggia égalise finalement, mais la machine Roma est lancée et enchaîne les victoires contre l’Inter, le Genoa, la Reggiana et la Samp pour se retrouver leader après six journées. Il faut attendre la 8e journée pour voir les Giallorossi perdre contre Parme et arrive le derby contre la Lazio.
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Un derby pour l’éternité
Tous les ingrédients sont réunis pour faire de ce jour une date historique pour tous les tifosi romains. La Lazio reçoit son hôte dans une forme resplendissante après avoir infligé cinq buts à Padoue, elle occupe la seconde place, 4 points devant une Louve souffreteuse qui vient de réaliser un triste 0 à 0 à Brescia. Pire, cela fait cinq ans que la Roma n’a pas vaincu son meilleur ennemi.
Zdeněk Zeman, l’élégant prophète sur le banc, contre Carlo Mazzone, le provincial rustre. La semaine avant le choc, Il Corriere dello Sport compare les joueurs de la Roma et de la Lazio poste pour poste. Pas un seul Giallorosso ne soutient la comparaison avec les blancs et les bleus ciel. Score sans appel 0-11 et le 27 novembre 1994 doit être le jour de l’humiliation de la Louve. Bien que Mazzone ne soit pas un grand stratège, son savoir-faire pour transcender ses joueurs est unique. Il prend soin de placarder la une du journal sur les murs du centre d’entraînement, inoculant à ses troupes la rage de vaincre. Maître Mazzone par l’odeur du Derby alléché n’hésita pas à flatter l’ennemi en déchargeant toute la pression sur ses épaules de favoris.
La Curva sud fit le reste en accueillant les Romains par un immense tifo représentant la louve planant au-dessus des tribunes avec en dessous : « Il n’y a que l’AS Roma ».
La pluie ne refroidit pas les ardeurs des Giallorossi. Dès le coup d’envoi, un centre de la droite de Daniel Fonseca trouve la tête d’Abel Balbo pour l’ouverture du score. Un numéro de Francesco Moriero qui délivre une merveille de passe à Massimiliano Cappioli permet à la Louve de doubler le score. Au retour des vestiaires, c’est Giuseppe Giannini qui se mue en passeur grâce à un subtil centre qui trouve la tête de Daniel Fonseca. La manita fut sauvée par un arrêt réflexe de Luca Marchegiani sur un boulet de canon de Fonseca, en feu ce jour-là, puis par la transversale. Au coup de sifflet final, Carlo Mazzone, parka Asics du club sur le dos, jubile, haranguant dans une course folle la Curva sud.
La trêve des confiseurs sonne à une quatrième place avec 28 points. La seconde phase est un peu plus poussive et la quatrième place est perdue après à une défaite à quatre journées de la fin contre le grand AC Milan de Fabio Capello. L’essentiel, à savoir, une qualification européenne, est acquis et le microcosme romain a assisté à l’éclosion de Francesco Totti avec quatre buts et autant de passes décisives lors de cette saison. Pour le reste, le jeu de la Roma de Mazzone ne fait pas lever les foules, porté par un Abel Balbo de feu qui fit trembler les filets adverses à 22 reprises, soit quasiment autant que le reste de l’équipe.
Septième attaque du championnat mais première défense, la Roma se valorise avant tout par sa rusticité à l’image de son entraîneur. Mazzone se caricaturant même parfois, quand il lança, depuis son banc, à un Amedeo Carboni souhaitant batifoler dans son couloir un « va te faire foutre » n’appelant pas à la discussion tactique et aux chevauchées le long de la craie. Depuis que le football est football, la fatalité veut que les arrières latéraux, par leur proximité avec le banc de touche, deviennent les souffre-douleur des entraîneurs, devenant les réceptacles de toute leur frustration emmagasinée. Des anecdotes à ce sujet, Amedeo Carboni, qui a disputé 186 matchs pour les Giallorossi d’un Mazzone sicario de la punchline, n’en manque pas. Un jour de match contre Cagliari, le latéral batifole dans la moitié offensive avant d’être repris par Carletto hurlant:
« Amedeo, Combien de matchs as-tu joué en Serie A ? »Carboni : « 350, Mister »Mazzone : « Et combien de buts ? »Mazzone : « Eh bien, alors j’aimerais vraiment savoir où diable tu vas ! Reviens immédiatement en défense ! »
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Mi-figue mi-romain
La troisième saison romaine de Mazzone débute difficilement avec une seule victoire au soir de la septième journée et une treizième place. Pire, l’alchimie offensive est désespérément perdue. Sur la phase aller, Francesco Totti n’a fait trembler les filets qu’à une seule reprise, Daniel Fonseca cinq fois, seul Balbo surnage, mais avec un rendement bien plus faible que la saison précédente. L’orchestre offensif est devenu un concerto pour solistes avec des excès d’individualisme comme autant de larsen.
C’en est trop pour Mazzone qui apprit que le Président Sensi avait promis aux joueurs une prime par but marqué. L’entraîneur réclama la même dîme pour le passeur décisif. Le jeu de la Roma se raccorda avant un bel accroc contre le Slavia de Prague en quart de finale de la Coupe de l’UEFA. Emmené par Radek Bejbl, Vladimir Smicer ou Karel Poborsky qui enchanteront l’Europe avec la sélection tchèque quelques mois plus tard, le Slavia emporte la première manche 2 à 0. Au retour, la Roma rattrape son retard en fin de match. La prolongation s’ouvre et un but de Francesco Moriero aurait dû achever les espoirs tchèques mais, ce fut sans compter sur une réalisation de Jiří Vávra. 3 à 3 sur l’ensemble des deux matchs, le Slavia rejoint les demi-finales et les Girondins de Bordeaux au bénéfice du but à l’extérieur.
Il s’agit sûrement du plus grand couac de Carlo Mazzone, qui conclut son année par une fade cinquième place et une impossibilité d’emmener la Roma dans un carré européen. À une époque d’un Calcio ultra-dominant qui a vu des clubs moyens comme Cagliari, le Genoa ou Vicence goûter aux joies des demi-finales européennes. Autre tache noire, son triste bilan dans le derby face à la Lazio une seule victoire, deux nuls, trois défaites.
Ainsi s’achève l’épopée mazzoniene à la Roma, intense, haute en couleur, mais pauvre en titres alors qu’il disposait d’un potentiel indéniable. Il en reste surtout l’éclosion d’un campionissimo, Francesco Totti qu’il couva d’un regard quasi paternel correspondant à la construction d’une nouvelle image. La figure autoritaire s’adoucit pour se transformer en patriarche certes bourru mais maniant le bâton autant que la caresse. S’exprime alors la fierté d’avoir dirigé sa Roma lui qui aimait dire « on ne peut pas dire qu’on a entraîné si on n’a pas dirigé les Giallorossi. Quand tu évoques Rome, mes yeux s’illuminent » pour son Unico grande amore.
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