OnzeMondial
·18 Februari 2025
EXCLU - Enzo Bardeli : « Du jour au lendemain, j’ai dû pointer au chômage »
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·18 Februari 2025
La Ligue 2 est un championnat qui recèle de nombreux talents. Chaque année, plusieurs pépites franchissent le cap et brillent dans l'élite. Tous les mois, Onze Mondial part à la découverte de ces cracks de l’ombre. Après avoir longtemps cru qu’il allait percer au LOSC, son club formateur, Enzo Bardeli s’est retrouvé au chômage. Au pied du mur, le milieu de terrain de poche prend le risque de signer amateur à Dunkerque pour relancer sa carrière. Un pari gagnant pour celui qui est considéré comme l’un des meilleurs joueurs de L2.
Voici quelques extraits de notre interview de Enzo Bardeli. L’intégralité de cet interview de 2 pages est à retrouver dans le magazine n°369 de Onze Mondial disponible en kiosque et sur notre eshop depuis le 21 janvier 2025.
Comment s’est déroulée ton enfance ?
Je suis né à Dunkerque. J'ai un grand frère, j’étais scolarisé à Cappelle-la-Grande, où mes parents habitaient. On vivait dans une maison, tout était tranquille. Mon père est professeur de technologie dans un collège et ma mère travaille dans la restauration scolaire dans un lycée.
Tu étais quel type de garçon ?
J'étais un garçon avec la joie de vivre, très actif, simple à vivre. J’ai arrêté l’école après l’obtention de mon bac STMG. J'étais plutôt un bon élève jusqu'au collège, car mes parents étaient derrière moi. Je suis ensuite parti à l’internat puis au centre de formation, c’était plus difficile pour eux de suivre ce que je faisais à l’école. Et j’étais plus concentré sur le foot, j’ai, un peu, laissé l’école de côté.
Tu as essayé d'autres sports ?
Non, mes parents ont décidé de me mettre au foot à 4 ans, ce qui est tôt, mais comme j’étais actif et que je courais partout, ça m’a tout de suite plu. Et j'ai continué. Mon frère faisait du judo, c’était différent. On n’avait pas le même caractère.
Où as-tu commencé le foot ?
J’ai commencé à Coudekerque, à l’âge de 4 ans. À 10 ans, j’ai commencé à être approché par les clubs professionnels de la région : Lille, Lens et Valenciennes. Lorsque j’étais en CM2, je suis allé au LOSC. Au début, je vivais encore chez mes parents, ils faisaient les allers-retours pour me déposer à l’entraînement trois fois par semaine. Il y avait une heure de route. En 4ème, j’ai eu le choix : intégrer le pôle espoirs de Liévin ou aller en internat pour faire un sport-études avec le LOSC. J’ai choisi la deuxième option. C’était à Lambersart au collège Lavoisier.
Tu as rapidement compris que tu avais du talent ?
Très jeune, techniquement, j'étais un peu au-dessus du lot avec une bonne vision de jeu. Quand les clubs du coin commencent à s'intéresser à toi, tu te dis que tu es différent des autres, tu te mets à rêver, tu y crois. Mes parents ont pris le risque de faire la route, c’est un truc qui a bouleversé mon enfance. Entrer à l’internat si jeune, ce n’était pas facile pour moi, mais aussi pour mes parents. Ils ont pris cette décision et c’était aussi ma volonté.
Comment sentais-tu que tu étais différent ?
Au-delà, du terrain, je le sentais sur le plan mental. Ça ne me dérangeait pas de quitter la maison. Je n’avais pas peur de faire les allers-retours, j’étais prêt assez rapidement. Le regard des autres aussi était différent. J’ai rapidement changé d’école, les autres en parlaient un peu. Quand c’est comme ça, on est un peu différent, un peu mis en lumière. Mais ça ne m’a pas vraiment bouleversé, j’ai réussi à faire abstraction de tout ça.
Pourquoi avoir choisi Lille ?
Le choix était assez évident. À cet âge-là, on ne nous expose pas vraiment un projet, mais c’était le club qui était le plus intéressé. Je me suis vraiment bien senti lors des détections. C’était naturel de signer là-bas.
Comment se passe ta formation à Lille ?
Ma formation à Lille se passe très bien. Quand on arrive aussi jeune, on sait très bien qu’on a peu de chances de devenir professionnel. Car chaque année, de nouveaux joueurs arrivent, d’autres se font virer. Je voyais mes coéquipiers sortir du bureau en pleurs après avoir appris qu’ils n’étaient pas conservés. Ce n’était pas simple à vivre. Moi, j'ai toujours réussi à passer à travers les mailles du filet, car je m’étais bien adapté, j’avais bien progressé aussi. J’avais le mental pour m’accrocher. Chaque saison, je montrais que j’avais ma place à Lille. Du coup, j'ai réussi à intégrer le centre de formation à Luchin, lors de mon entrée au lycée. Au début, le club m’a fait signer une convention, un petit contrat, car les coachs avaient encore des incertitudes à mon sujet, notamment à cause de mon physique assez petit. Les autres allaient plus vite, étaient plus puissants, frappaient plus fort. Je me suis adapté et je me suis appuyé sur mes forces : ma technique et ma vision du jeu. Quelques mois après, les dirigeants m’ont proposé un contrat aspirant, car j’avais réussi à m’imposer en U17 nationaux alors que j’étais un U16.
Comment as-tu géré la concurrence ?
On avait tous les mêmes ambitions, surtout dans ces catégories : U17 et U19. Et puis, le recrutement devenait national, les joueurs venaient de toute la France. Il y avait de plus en plus de qualité dans l’effectif. Moi, j’étais à l’écoute, je m’adaptais à mes coachs et à ce qu’ils me demandaient. J’étais un travailleur à ce niveau. Je me suis toujours imposé. J’étais titulaire en Youth League, j’ai même fait des entraînements avec les pros. Tout se passait bien. Les gens disaient que j’allais signer mon contrat professionnel, car le club était content de moi. Au même moment, il y a un changement de direction. Les nouveaux dirigeants veulent changer de projet, miser sur des joueurs plus jeunes. Moi, j’avais déjà 20 ans. Ils me font donc comprendre que ça va être compliqué pour moi. Ils me disent : tu peux rester pour encadrer la réserve. Moi, j’étais au club depuis 10 ans, je ne voulais pas ça. Je voulais jouer avec les pros. Je refuse donc logiquement leur offre et me retrouve sans club. Je retourne donc à la maison, chez mes parents.
Comment as-tu vécu cette période ?
C’était compliqué. Pendant dix ans, on ne voit plus trop la famille. Je voyais mes parents évidemment, mais pas le reste de la famille. Tout le monde comptait entre guillemets sur moi. Tout le monde plaçait des espoirs en moi. Dès que je rentrais les week-ends, on me parlait de ma carrière dans le foot. Et puis, du jour au lendemain, alors que je pensais signer mon contrat professionnel, on me dit que c’est terminé et que je dois pointer au chômage, sans club, à 20 ans. Retour à la case départ. C’était dur, je voyais dans le regard des gens que j’avais échoué, que je les avais un peu déçus. Je me posais des questions sur mon avenir, il était vraiment incertain à ce moment-là. Je n’avais pas de diplôme, je n’avais jamais pensé à un métier. Car pour moi, c’était foot, foot, foot. Pendant six mois, j’ai fait des tests dans plusieurs clubs, notamment à Reims et au Portugal. Tout le monde disait la même chose : « C’est un bon joueur, mais avec son physique, il ne s’adaptera pas au monde adulte ».
Tu as mal vécu ces remarques au sujet de ton physique ?
Oui, je les ai mal vécues. Car sur le terrain, ça ne se ressentait pas. J'arrivais à m'adapter. Pourtant, tout le monde sait qu'en U19, surtout en France, il y a vraiment du physique. Les matchs sont très physiques, et toute ma vie, j’ai toujours joué contre des gars plus physiques et plus grands que moi, et j’ai toujours répondu présent. J’arrivais à éviter les duels, tout en jouant avec mes qualités. Et aucun club ne voulait prendre le « risque » de me prendre.
Que faisais-tu pendant ton chômage ?
J’étais chez mes parents. Je me maintenais en forme, je m’entraînais seul. Mon frère restait avec moi, on jouait un peu dans le jardin. La période était compliquée. Je n’ai pas commencé à regarder les formations, mais mentalement, je commençais à me dire : « Enzo, va falloir réfléchir à une autre voie, à quelque chose qui pourrait te plaire ». Mais quand toute ta vie tu t'es dit : « Moi c'est le foot et rien d'autre », c'est dur !
Comment as-tu fait pour rebondir ?
Je connaissais le recruteur de Dunkerque, j’avais fait un essai là-bas juste après mon départ de Lille. Mais Dunkerque ne voulait pas me donner de contrat pro. J’avais donc répondu : « Je vais tenter ma chance ailleurs », car je pensais trouver facilement un contrat dans un autre club. Tous les clubs m’ont fermé la porte. Du coup, ce recruteur, Salomon Kashala, me rappelle et me dit : « Tu es tout seul à la maison, le stade est à côté de chez toi, viens avec l’équipe réserve qui évolue en R2 ». À ce moment-là, j’étais à bout, je ne jouais plus au foot, je ne faisais plus rien. Du coup, j’ai accepté de prendre une licence pour faire quelques matchs, sachant que l’équipe première était en Ligue 2 et que ça se passait mal pour eux. Le coach, Romain Revelli, me fait venir à l’entraînement une fois. Ça se passe très, très bien et je ne quitte plus le groupe pro. J’ai fait une entrée en pro, ils m’ont ensuite fait signer pro et tout a été très vite.
Tu as donc rapidement rebondi ?
Oui, j’ai obtenu ce contrat au bout de deux mois à Dunkerque, j’avais fait de bons matchs en réserve et une bonne impression avec les pros. Tout s’est bien goupillé, surtout que j’étais à côté de la maison. Je jouais en Ligue 2, j’ai fait un bon pari. Après avoir quitté Lille, je pensais avoir fait une grosse erreur. Aujourd’hui, avec du recul, je suis très content.
Tu as rapidement connu une descente aussi...
Oui, dès mon arrivée, le club descend en National. Ensuite, je fais une saison pleine en National. Mes deux premières années, c’est une descente de Ligue 2 en National, puis une remontée de National en Ligue 2. L’an passé, après l’arrivée de Luis Castro, je sentais que je pouvais m’imposer. Ce coach fait attention à tous les détails et me fait confiance. Je suis épanoui avec lui.
Comment juges-tu la Ligue 2 ?
C'est vraiment un bon niveau, avec de belles équipes. Il y a de plus en plus de technique et de tactique. Avant, on disait que c’était surtout un championnat physique et athlétique. Désormais, les équipes essaient de jouer au ballon, d’avoir plus de maîtrise. C’est un super championnat pour les jeunes, pour faire ses armes dans le but d’aller plus haut à l’avenir.
Comment expliques-tu votre belle forme cette saison ?
Depuis un an, nous sommes sur une belle lancée. La saison dernière, on a réussi à se sauver malgré seulement 2% de chances de se maintenir. En janvier 2024, nous n’avions que 13 points. On a poursuivi notre dynamique, le coach a mis sa méthode en place, ça a pris du temps mais désormais, tout roule. On a toujours cru en sa méthode, même si on perdait au départ. Et aujourd’hui, le travail paie. Cette année, l’effectif a changé, le coach a profité de la préparation pour développer ses idées. On a cru en son projet, on sent qu’on progresse et qu’on peut faire quelque chose de beau cette année. On a un effectif de qualité, les joueurs sont à l’écoute.
Comment conclurais-tu cette partie sur Dunkerque ?
J’ai pris un risque en acceptant de signer amateur à Dunkerque avec son chômage. Se retrouver dans cette situation à 20 ans, sans perspective d’avenir, c’est hyper compliqué. Mais grâce à ce choix, je suis là aujourd’hui. J’ai passé un cap aussi sur le plan mental.
Qui est Enzo Bardelli ?
Je suis très simple, j’ai la joie de vivre, je ne me prends pas la tête et je suis très généreux. J’aime d’autres sports aussi, comme le tennis ou le padel. J’y joue en famille, avec les cousins, les copains. J’aime aussi jouer à la console, je joue à Call of Duty ou FIFA. Je vis dans un appartement avec ma copine, je suis avec elle depuis 7 ans. On s’est rencontrés au collège. Elle a toujours été là pour me soutenir malgré les périodes compliquées.
Ça fait quoi d’être cité comme l’un des meilleurs joueurs de Ligue 2 ?
Ça fait toujours plaisir de voir son travail récompensé. Surtout que ça n’a pas toujours été facile. Je savoure, je profite, car je sais que le foot peut aller très vite dans les deux sens. Ce n’est que du kiff.
Comment définis-tu ton style de jeu ?
Je suis un joueur assez intelligent, avec une bonne vision du jeu et une bonne technique. J'aimerais me projeter davantage, il faut que je sois plus attiré par le but. Lors de ma formation, j’étais plus bas sur le terrain, j’évoluais en 6 ou en 8, et désormais, on demande au 8 d’être box-to-box et d’apporter un réel plus offensif. Je commence à marquer des buts, à faire des passes décisives. Il faut que je continue comme ça.
Qui sont les joueurs que tu aimes bien à ton poste ?
J'adore Iniesta et Modric. Lors des mes phases difficiles, où je me posais des questions, notamment sur mon physique, ces joueurs m’ont permis de m’accrocher, d’y croire. Je me disais : « Ils ont le même physique que moi et ils ont réussi, donc c’est possible ».
Tu étais complexé par ton physique ?
Ça ne m’a jamais dérangé. Être petit ne me gênait pas. Sur le terrain, ça ne me posait aucun problème. Ce qui m'a le plus dérangé, ce sont les gens qui avaient des craintes sur moi à cause de ça. Je ne comprenais pas. Sans même m’avoir regardé, ils disaient : « Ça ne va pas passer, il est petit ».
Peux-tu décrire le milieu de terrain parfait ?
C’est un milieu qui sait d’abord défendre. Dès que son équipe perd le ballon, il doit être prêt à intercepter, à chasser l’adversaire, à bien presser. Il doit être très bon tactiquement pour régler les petits problèmes posés par l’adversaire durant le match. Il faut aussi qu’il soit bon techniquement, avec une bonne vision du jeu. Et, de temps en temps, qu’il soit capable de marquer et de délivrer des passes décisives.
Tu as des rêves ?
Je veux aller le plus haut possible. Je ne me fixe aucune limite, je veux juste faire mon maximum, peu importe le championnat ou la compétition. Je ne veux avoir aucun regret à la fin de ma carrière. Tous mes rêves tournent autour du foot.
As-tu des aspirations pour ton avenir ?
Je suis sous contrat jusqu’en 2026. On sait que tout va vite dans le foot. Des clubs peuvent s’intéresser à toi pendant un moment, puis ne plus être intéressé. Actuellement, je me sens bien à Dunkerque. Après, comme je l'ai dit, j'espère aller le plus haut possible. Je ne me fixe vraiment pas de limite. Le club de Dunkerque est en train de bien se développer. Demba Ba, le coach, le staff et la direction font vraiment un travail de qualité. Dunkerque va devenir un très bon club français dans les prochaines années. Moi, je ne suis pas fermé à l'idée de rester, à l'idée de partir. Ce ne sera pas une décision facile, c’est délicat. Je dois vraiment réfléchir, car ce sera important pour mon avenir.
Et si tu n'avais pas été footballeur, tu aurais fait quoi ?
Je ne me suis pas vraiment posé la question, mais j’aurais opté pour un métier manuel. Je suis plus manuel qu’intellectuel.
Si tu étais journaliste, tu poserais quelle question à Enzo Bardelli ?
Je lui dirais : « Qu’est-ce qu'on peut te souhaiter pour cette nouvelle année ? ». Je répondrais : « Je veux continuer à progresser, à prendre du plaisir parce que j'en prends beaucoup. Pour moi, le foot, c'est avant tout un plaisir. Le jour où je ne prendrai plus de plaisir dans le foot, je me poserai vraiment des questions. Et surtout éviter les blessures ».
Si tu avais un super pouvoir, lequel choisirais-tu ?
Celui d’être ultra-rapide. Ça m’aurait aidé pour faire des appels en profondeur (rires).
Si tu devais terminer l’interview par une phrase qui te représente ?
Je dirais : « Toujours croire en ses rêves, toujours croire en soi ». Il ne faut jamais abandonner son rêve tant qu’il est encore réalisable. Un échec peut être une opportunité pour réaliser son rêve.
Si tu devais te noter pour cette interview ?
Je dirais 8 sur 10.
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